BERDER Henriette

Henriette Françoise Laurent est la fille d’une ménagère et d’un quartier-maître armurier. Juste après la Première Guerre mondiale, elle épouse le professeur François Berder (1889-1971) originaire de Saint-Pol-de-Léon, le 9 décembre 1919 à Paris (3e arr). Dans les années 1920, le couple réside à Sizun où naissent leurs enfants : Guy en 1922, André en 1924 et Suzanne en 1925. À une période non déterminée, l’époux d’Henriette Berder change de profession et devient percepteur, notamment à Lesneven dans les années 1930/1940. La famille semble résider un temps à Plouzévédé, où naissent Yvonne en 1930 et Thérèse en 1933.

Sous l’occupation allemande, Henriette Berder serait entrée en Résistance à partir de juin 1942 au sein du réseau Centurie. Non homologuée comme agente de ce réseau, nous ignorons par quel truchement elle a été mise en relation avec cette organisation clandestine, tout comme nous ignorons l’identité de son recruteur. Les informations à notre disposition laissent davantage à penser qu’Henriette Berder serait entrée plus tardivement en Résistance, vers le printemps-été 1943. L’auteur Roland Bohn évoque une rencontre entre Alice Coudol et Henriette Berder le 14 juillet 1943 à Lesneven. Cette datation est plus vraisemblable car depuis mars/avril, l’on cherche à recruter dans le nord Finistère des patriotes pour leur proposer d’intégrer la Résistance (et non le réseau Alliance) afin de former des groupes de volontaires prêts à prendre les armes le moment venu. L’heure n’est pas à l’action directe, les moyens sont très limités et seuls la propagande et le recrutement sont à l’ordre du jour. Il n’est pas totalement à exclure que des renseignements aient pu être néanmoins recueillis et transmis au réseau.

Connue sous le pseudonyme d’Antibes, Henriette Berder s’investit pleinement dans la clandestinité. Elle partage la propagande, accueille des réunions clandestines, contribue au recrutement et aide les réfractaires au Service du travail obligatoire (S.T.O). Pour cette dernière tâche, il faut certainement y voir l’assistance de son percepteur de mari. Ses deux fils André et Guy ne sont pas en reste, ils servent d’agents de liaison entre les différents membres du groupement qui se crée. Ils réalisent également des liaisons auprès de Jean Mazé à Saint-Pol-de-Léon. Il semble qu’elle recrute Roger Pichon en septembre 1943.

Cette organisation clandestine est sérieusement ébranlée au début d’octobre 1943 par le démantèlement du réseau Alliance à Brest et Lesneven, avec notamment l’arrestation d’Alice Coudol. Henriette Berder n’est pas recherchée mais par précaution, son fils André et un autre agent de liaison, Jean Cadiou, se mettent au vert chez Guillaume Broc’h (1884-1960) à Penmarc’h en Saint-Frégant.

Quand François Broc’h tente de renouer le contact avec les différents groupes du secteur pour poursuivre la lutte, il se rend auprès de son oncle de Saint-Frégant pour y rencontrer les deux agents de liaisons qui s’y cachent. André Berder avait tenté (en vain) de recruter François Broc’h dans la Résistance quelque temps auparavant, sans savoir que celui-ci était déjà actif. Lors de cette rencontre à Saint-Frégant, les contacts sont renoués. Jean Cadiou demande néanmoins à ce que ce soit Henriette Berder qui prenne la suite d’Alice Coudol. François Broc’h est mitigé, il cherche davantage un responsable militaire mais diplomate, il accepte la requête et rencontre l’intéressée chez elle à Lesneven dans la foulée. Henriette Berder devient ainsi la responsable cantonale de la Résistance tout en s’affiliant avec le mouvement Défense de la France (D.F), dont la presse clandestine était déjà distribuée depuis quelque temps dans le secteur.

Henriette Berder se montre à la hauteur des responsabilités qui lui incombent désormais. De par ses connaissances et ses contacts, les résistants du secteur se rallient à elle. Son activité rayonne à Lesneven, Ploudaniel, Le Drennec, Kersaint-Plabennec, Plouider, Brignogan et à Saint-Pol-de-Léon grâce à Jean Mazé. Le chef militaire du canton est trouvé entre octobre et novembre 1943, en la personne d’Aimé Talec, instituteur à Ploudaniel mais surtout vétéran de 14/18. Le rapprochement entre D.F et le mouvement Libération Nord (L.N) à la toute fin de l’année 1943 permet de donner une ossature à l’Armée Secrète (A.S). Entre février et mars 1944, d’autres rapprochements nationaux donnent naissance aux Forces françaises de l’intérieur (F.F.I), se traduisant localement par la création du Groupement cantonal de Lesneven.

Organisation théorique du groupement vers février 1944

  • Commandant de compagnie : Yves Corre
  • 1ère section : Pierre Loaëc
  • 2ème section : Yves Pellennec
  • 3ème section : Pierre Nicolas
  • 4ème section : Gac
  • 12 Chefs de groupe (4 groupes par section)
  • 4 agents de liaison : Guy et André Berder, Eugène Foricher et Arsène Jézéquel

L’organisation se poursuit dans le canton et bientôt les premières armes arrivent pour la formation des volontaires. Le 11 mars 1944, Eugène Foricher et André Berder sont chargés de rapatrier les armes jusqu’à Ploudaniel. Après plusieurs péripéties, les armes sont prises en charge par Augustin Salou et transportées par charrette vers la ferme Dolou de Kervilon en Ploudaniel. Ce même mois, Henriette Berder apprend par ses contacts que le receveur des P.T.T de Saint-Pol-de-Léon, Yves Simon, a été arrêté.

Le mois suivant, c’est au tour des Berder d’être sérieusement inquiétés. Le lundi 10 avril 1944 à Tréflez, Louis Bodenez-Muller est contrôlé par l’armée allemande à un barrage routier alors qu’il est porteur d’un revolver. Dans la foulée, son père est arrêté à son tour tandis que la maison est perquisitionnée. Lors de cette opération, les allemands parviennent à obtenir/découvrir l’identité du responsable cantonal F.F.I de Guissény-Plouescat, Joseph Barach, ainsi que celle d’un des fils Berder. Les Allemands se présentent le 14 avril 1944 chez les Berder à Lesneven. Les versions divergent mais toutes s’accordent sur le fait qu’aucune arrestation n’est faite ce jour là. N’ayant pas eu le fils recherché, les Allemands vont sûrement revenir, Henriette Berder quitte alors son domicile avec deux de ses filles et trouve refuge à Kerougon en Saint-Méen auprès du fermier Louis Thépaut. Pour leur part, André et Guy se cachent à Berven en Plouzévédé.

Le 3 mai 1944, les Allemands reviennent en force au domicile des Berder. Restés sur place, François et Suzanne sont arrêtés et interrogés de 5 heures à 18 heures. Ils parviennent à convaincre l’occupant qu’ils vivaient en mauvaise intelligence avec Henriette Berder. Relâchés mais pas sans soupçons, père et fille doivent pointer tous les jours à la Kommandantur. Durant cette journée, plusieurs témoins ainsi que tous les employés de la perception furent interrogés.

Pendant près de trois semaines, Henriette Berder reste à Kerougon avant de changer de cachette et de s’établir à Lanarvilly. Malgré son statut précaire, Henriette Berder parvient à maintenir le contact avec le groupement. Mais bientôt une nouvelle épreuve ébranle cette formation. Dans la soirée du 2 juin 1944, Henriette Berder reçoit la visite d’Éliane Riou (fille de Jean Riou), pour l’avertir que des résistants sont venus chez eux à Lesneven pour annoncer que les armes sont bien arrivées. Sceptique et suspicieuse, la femme du percepteur flaire le piège et préconise à la famille Riou de se cacher immédiatement. Ce conseil n’aura pas le temps d’être mis en application, le logement des Riou est perquisitionné quelques heures seulement après, dans la nuit du 2 au 3 juin vers deux heures. D’autres arrestations s’enchaînent et au petit matin, ce sont 14 personnes actives de la Résistance qui sont sous le coup d’une arrestation, dont le chef cantonal Aimé Talec.

Par mesure de sécurité, Henriette Berder change à nouveau de cache et trouve refuge à Trégarantec, chez un membre de la famille de Louis Thépaut. La direction du groupement revient à Paul Jacopin, qui passera le relais à Pierre Nicolas vers juillet 1944. Malgré cet acharnement, et sûrement réconfortée par l’annonce du débarquement en Normandie, Mme Berder aide encore les F.F.I. À la mi-juin 1944, menacés d’arrestations, des jeunes F.F.I de Brest doivent être éloignés de la ville : il sont orientés vers le secteur de Lesneven. Louis Thépaut accepte de les cacher, très probablement sur requête d’Henriette Berder. Arrivé le 20 juin, le groupe d’une dizaine de personnes est hébergé dans la fermette (Kerougon-Vihan) qu’il possède à l’écart de sa propre ferme (Kerougon-Vras) tandis qu’une autre partie est installée dans le bois Morizur (aussi appelé Kerdudes ?) à Saint-Méen.

Le 12 juillet 1944, son fils Guy est arrêté à Berven et ramené à la kommandantur de Plouescat pour interrogatoire. Il parviendra à s’échapper. Le sort s’acharnant sur ce secteur, deux jours plus tard, au petit matin du 14 juillet 1944, le maquis de Kerougon est pris d’assaut par le Kommando I.C 343 de Landerneau et ses supplétifs français. Quelques F.F.I parviennent à s’enfuir mais Jean Berlivet, Louis Berthou, Jean Gouriou, François Kerbrat, Jean-Pierre Lamandé, Jean Le Bris, Robert Le Page et Joseph Nicolas sont tués. Le fermier hébergeur, Louis Thépaut, est également abattu à quelques centaines de mètres de là par les allemands pour l’aide apportée aux maquisards. D’autres fermiers des environs sont faits prisonniers et envoyés à Landerneau avant d’être relâchés rapidement sans répercussion après interrogatoire.

Acculée, Henriette Berder quitte le secteur et part se réfugier à Saint-Pol-de-Léon jusqu’à l’arrivée des américains en août 1944. Durant les combats de la Libération, l’unité F.F.I de Lesneven porte le nom de guerre d’Henriette Berder : Compagnie Antibes. Henriette s’occupe durant cette période du service social, tout comme elle le fera après guerre au sein de la F.F.C.I. Après la capitulation allemande en mai 1945, elle devient la déléguée cantonale du Comité des Œuvres Sociales des Organisations de la Résistance (C.O.S.O.R). Pour son action dans la clandestinité, Henriette Berder est décorée de la médaille de la Résistance française en 1946.

Elle résidera un temps à Lorient avant de revenir passer sa retraite à Brest, où elle résidait avec son époux au 9 Place de la Liberté.