Jean Louis (prénom usuel) Thépaut est né dans une famille d’agriculteurs et de meuniers. Il grandit dans le village de Kerougon, au sud de la commune de Saint-Méen, près de Lesneven. En 1912, son service militaire le conduit en Algérie : il intègre le 6ème groupe d’artillerie à pied d’Afrique à Oran. Puis lorsque la guerre éclate en 1914, il rejoint le 90ème régiment d’artillerie lourde en métropole au sein duquel il combat pendant toute la durée du conflit. Suite à l’Armistice, il est démobilisé en août 1919 et revient s’installer à Kerougon après sept années au service de l’armée française. Il se marie à l’été 1925 avec Françoise Théréné, leur fille Anna naît en 1926. Sa femme meurt quelques mois plus tard de la tuberculose, véritable fléau qui fait encore beaucoup de ravages au sein de la population bretonne. Il se remarie en 1929 avec Angèle Calvez, ils n’auront pas d’autre enfant.
Lorsque la guerre éclate en 1939, il exploite la ferme de Kerougon avec sa femme et sa fille, qui a alors treize ans. Il possède également une petite fermette inoccupée à quelques centaines de mètres de la ferme principale, sur la hauteur.
En 1943, dans le canton de Lesneven, des groupes de Résistants commencent à se constituer, sous l’impulsion notamment de la jeune Alice Coudol. Une partie du recrutement semble se faire au sein des Anciens Combattants de 14-18. Louis Thépaut est-il contacté à ce moment-là ? Toujours est-il que fin 1943, début 1944, la Résistance qui se structure en vue du Débarquement doit faire face à une répression allemande implacable. Aussi des Maquis se forment-ils dans l’arrière-pays, dans des zones isolées à l’écart des grands axes et à l’abri des regards. Dans le canton de Lesneven, sous le commandement d’Aimé Talec, directeur d’école et ancien de 14-18, la Résistance peut compter sur des paysans prêts à cacher des personnes en danger. Ainsi dès avril 1944, Louis Thépaut héberge Henriette Berder, une des responsables de la Résistance de Lesneven avec ses deux fillettes, pendant près de trois semaines.
Le 3 juin 1944, une vague d’arrestations décime la Résistance locale sur Lesneven, Ploudaniel et Saint-Méen, où trois jeunes sont faits prisonniers. Un quatrième jeune de St Méen, Jean Lamandé, parvient à échapper au coup de filet, ainsi qu’Henriette Berder, qui se cache à Trégarantec chez un membre de la famille de Louis Thépaut.
La situation est tendue, la Résistance désorganisée. Le Kommando I.C 343 de Landerneau, unité militaire créée en avril 1944 au sein de la Wehrmacht pour lutter contre les Maquis, déploie de grandes capacités de renseignement et d’intervention militaire. Composé de soldats et d’officiers, il est installé à Landerneau dans un ancien manoir qui sert de prison, de lieu d’interrogatoire et de torture. Le Kommando a recruté deux jeunes Français, Résistants « retournés » : Jean Corre et Gabriel Poquet. Il peut aussi compter sur le renfort de membres du Parti National Breton (notamment André Geffroy et Hervé Botros), parti autonomiste qui s’est engagé dans une collaboration étroite avec l’occupant.
Or mi-juin 1944, menacé d’arrestation, des jeunes Résistants de Brest doivent être éloignés de la ville : il sont orientés vers le secteur de Lesneven. Louis Thépaut accepte de les cacher, très probablement sur requête d’Henriette Berder. Arrivé le 20 juin, le groupe d’une dizaine de personnes est hébergé dans la fermette (Kerougon-Vihan) qu’il possède à l’écart de sa propre ferme (Kerougon-Vras).
Le groupe est composé d’un « noyau dur » de Lambézellec : Louis Berthou, Jean Gouriou, Jean Berlivet et Joseph Nicolas. Jean Le Bris et Robert Le Page sont originaires de Saint-Marc. Il comprend également les Brestois Pierre Hagnéré, Roger Henry et Georges Midrouillet. Viendront ensuite se joindre à eux : François Kerbrat de Landivisiau, et Jean Lamandé, toujours en fuite après les arrestations du 3 juin. Restant sans liaison avec leur commandement, les jeunes Résistants s’installent sur les lieux, s’intègrent à la vie du village, participent aux travaux des champs. Ils sont nourris par les fermes des alentours.
Mi-juillet, Louis Thépaut confie à ses proches qu’il est inquiet, car les jeunes lui paraissent imprudents. Il craint qu’ils ne se fassent repérer.
Et en effet, le Kommando de Landerneau a été informé de la présence d’un maquis dans ce secteur. Le 13 juillet 1944, Jean Corre fait des repérages sur place avec deux officiers. Il interroge les gens des environs en se faisant passer pour un délégué de la Résistance, tout comme il l’avait déjà fait pour récolter des renseignements à Lesneven début juin. L’emplacement du maquis est localisé, une attaque est décidée pour le lendemain.
Le 14 juillet 1944 à 5h45, une quarantaine d’hommes, accompagnés par les Français Jean Corre, Hervé Botros et André Geffroy, encerclent la fermette de Kerougon et abattent l’homme qui monte la garde. Trois ou quatre personnes parviennent à s’enfuir. Les Allemands mettent le feu aux bâtiments où les autres dorment, et les abattent au fur et à mesure qu’ils sortent : ils sont mitraillés au niveau des jambes, puis abattus à bout portant d’un coup de revolver au front. L’attaque est fulgurante. Les victimes sont : François Kerbrat (21 ans), Robert Le Page (18 ans), Jean Le Bris (19 ans), Joseph Nicolas (22 ans), Jean Berlivet (21 ans), Jean Gouriou (22 ans), Louis Berthou (22 ans) et Jean Lamandé (27 ans).
Louis Thépaut, sa femme et sa fille sont réveillés quelques instants plus tard par des coups de feu tirés dans leur cour et le vacarme de coups de crosse qui brisent les vitres de leur maison : sous le commandement d’Herbert Schaad, aidés de Jean Corre et André Geffroy, les soldats incendient la maison et les bâtiments de ferme. L’argent de la famille est dérobé par André Geffroy ou Jean Corre, sous les yeux sidérés des femmes qui ne comprennent pas que cet « Allemand » s’adresse à elles en breton. Louis Thépaut est emmené sur le lieu du massacre, où gisent les corps des huit maquisards. Il est rejoint par les hommes des fermes voisines, faits prisonniers également. Les Allemands menaçant d’abattre tout le monde, Louis Thépaut leur indique qu’il est le seul responsable de cette situation, qu’il a pris seul la décision d’héberger ce groupe de Résistants sur sa propriété et que les autres n’ont rien à se reprocher. Il est emmené par le Kommando ainsi que les voisins arrêtés sans ménagement [1]. Alors qu’ils marchent pour rejoindre les véhicules du Kommando garés à bonne distance, Louis Thépaut est gardé séparément, à l’arrière du groupe. Herbert Schaad expliquera lors d’un interrogatoire après-guerre que : « son cas était plus grave et pour qu’il ne puisse pas parler aux autres ». En haut de la côte qui surplombe sa ferme en flammes, il est poussé dans un champ et abattu d’un coup de mitraillette dans le cou, puis d’un coup de revolver au front.
Âgé de cinquante-trois ans, il laisse derrière lui sa fille Anna et sa femme Angèle, sur une ferme détruite par le feu. Comme pour d’autres paysans, « patriotes » discrets qui ont été nombreux à soutenir la Résistance dans les campagnes, le prix de l’engagement est celui d’une mort violente et expéditive, et de la destruction par les flammes.
Les voisins emmenés au Q.G du Kommando sont libérés quelques jours plus tard, après avoir subi l’emprisonnement et les coups. Une partie des acteurs du Kommando de Landerneau seront arrêtés et jugés après guerre, certains recevant des peines d’emprisonnement ou de travaux forcés. Hervé Botros, lui, sera condamné à mort et exécuté à Quimper, en 1945.
Un monument est érigé à Kerougon après guerre, en mémoire des neuf hommes assassinés au petit matin du 14 juillet 1944. À titre posthume, Louis Thépaut reçoit la médaille de la Résistance française en 1960.
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