Paul Masson est remis à l’assistance publique dès sa naissance. Il est alors adopté comme pupille par l’État. Avant son service militaire, il travaille un temps comme cultivateur à Ardenay et Champfleur dans la Sarthe. En janvier 1914, il est appelé sous les drapeaux pour effectuer son service militaire mais son état de santé fait ajourner d’un an cette obligation.
Avec la déclaration de la Première Guerre mondiale, il est de nouveau convoqué. Paul Masson incorpore en décembre 1914, le 104ème Régiment d’infanterie (104e R.I) d’Argentan dans l’Orne. Il est rapidement versé au 3ème Régiment d’artillerie à pied (3e R.A.P) en janvier 1915, mais son état de santé reste fragile. À tel point qu’il passe en avril devant une commission spéciale de réforme de la ville d’où est originaire son régiment ; Brest. Paul Masson est alors classé dans le service auxiliaire pour vue insuffisante et cardiopathie. À plusieurs reprises, il est muté dans diverses unités mais il reste toujours à Brest, car inapte au combat. Dans la cité du Ponant, il loge à la caserne du Château.
À défaut de la guerre, c’est l’amour que trouve à Brest le jeune soldat réformé. Il rencontre puis fréquente la fleuriste Marie Prigent, qu’il épouse le 2 février 1917 à Brest. Rapidement le couple emménage au 7 rue Fautras, à deux pas du domicile de sa belle mère, établie au 17 rue Fautras. Son épouse donne naissance au mois d’octobre 1918 à leur fils René (1918-2013) [1].
La guerre terminée, c’est désormais à Brest que Paul Masson veut rester faire sa vie. À cause de son état de santé médiocre, il bénéficie d’une pension et parvient à trouver un emploi adapté de préparateur au laboratoire municipal de Brest, situé au 5 rue Danton. La famille déménage au 49 rue Navarin, pour se rapprocher du laboratoire qui n’est désormais qu’à 300 mètres de son domicile. Investi socialement dans son quartier, Paul Masson devient le président du comité des fêtes de la commune libre de Kerichen à la fin des années 1920. Dans les années 1930, il est également actif dans la Société de secours mutuels des anciens soldats et marins. Sous l’occupation allemande, il est toujours en poste au laboratoire municipal, avec comme directeur Léon Farcy (1888-1947). Avec le temps, Paul Masson qui n’était pourtant pas du métier, est devenu l’adjoint au directeur du laboratoire.
Personnage important dans la mémoire résistante brestoise, il n’est pas simple de décrire avec précision le parcours et les actions de Paul Masson (et de son binôme Georges Lacroix) dans la clandestinité. Si beaucoup ont témoigné ou ont écrit à son sujet depuis plusieurs décennies, nous ne sommes pas parvenus à étayer l’ensemble des propos dont les versions s’entrechoquent parfois ou font carrément fi d’une chronologie cohérente.
Plusieurs personnes prêtent à Paul Masson d’être entré en résistance au début de l’occupation, parfois dès le mois de juin 1940. Il faut sans doute rapprocher cela à l’aide qu’il aurait procuré à des prisonniers de guerre internés à la caserne de Pontanézen. On dit également de lui qu’il aurait favorisé des départs en Angleterre à cette période. Il y a sans doute confusion avec la même aide qu’il apportera trois ans plus tard, à des candidats au départ.
À ce jour, la première trace d’action que l’on puisse évoquer de manière presque certaine [2] de Paul Masson contre l’occupant ; est celle de venir en aide à l’aviateur canadien Albert Leslie Wright, dont l’avion a été abattu au dessus de Brélès, le 31 janvier 1942. D’abord recueilli par des agriculteurs, il est pris en charge par plusieurs brestois, dont les familles d’Anne Le Scour, Langlois et Masson. Pour tenter de le renvoyer en Angleterre, Paul Masson s’en ouvre au colonel Michel Scheidhauer, très probablement car ce dernier a encouragé son fils, Bernard Scheidhauer (1921-1944), à gagner l’Angleterre dès octobre 1940 depuis Douarnenez. Le colonel en retraite accepte d’aider et fait appel à la fille d’un ami, Herveline Le Guillou de Saint-Nic. Le périple de l’aviateur Albert Leslie Wright est loin d’être terminé mais il parviendra finalement à rallier l’Ecosse en octobre 1942 en passant par l’Espagne grâce au réseau Pat O’Leary de Marseille. À peu près à la même période, au début février 1942, le couple Masson offre également asile à la famille Laskar, d’origine juive, qui viennent d’être expropriés pour l’aryanisation du commerce Léon Soldeur.
Sans que l’on puisse déterminer par quel truchement, Maurice Gillet semble avoir recruté Paul Masson en juillet 1942 dans le réseau Alliance. Avec Georges Lacroix, ils deviennent des boîtes aux lettres où les agents de liaison et agents de renseignements viennent livrer les informations. Citons par exemple la réception par Paul Masson des informations du pharmacien Georges Roudaut de Lesneven, grâce à l’intermédiaire d’Alice Coudol, à partir d’octobre 1942 ou encore les rapports de Fernand Yvinec, à partir de mai 1943. Le tout est périodiquement transmis à Maurice Gillet. Il est également envisageable que Paul Masson ait lui même contribué à collecter des renseignements, par l’intermédiaire de ses relations professionnelles avec les différents services de l’arrondissement de Brest.
Il est parfois question que le poste émetteur du réseau, manipulé par René Prémel, fut gardé par Paul Masson et Georges Lacroix. Les deux compères clandestins, qui résident dans des lieux proches, sont aussi réputés sur la place de Brest pour les faux papiers qu’ils fabriquent et distribuent à ceux dans le besoin, notamment à partir de la mise en place des conscriptions obligatoires à l’automne 1942 et surtout l’instauration du Service du travail obligatoire (S.T.O) en février 1943.
Le laborantin semble également s’être livré, avec Anne Le Scour, à de la propagande gaulliste. Pour ce faire, ils se rendent chez le photographe Louis Toulouzou (1920-2012), du 5 rue Navarin et lui remettent un journal datant de 1938 où le portrait de De Gaulle figure, pour qu’il puisse le dupliquer afin de le diffuser.
À partir d’avril 1943, la diffusion du journal clandestin Défense de la France (D.F) s’organise à Brest et sa région. De cette activité de propagande, naît un mouvement de résistance. Bien que clairement établi mais sans que l’on puisse certifier les modalités de rapprochement, les membres brestois du réseau Alliance et du mouvement D.F se mirent à coopérer. Ceci aurait été rendu possible par l’entremise de mademoiselle Suzanne Chevillard, entre Paul Masson, Georges Lacroix et François Rupin vers juin 1943.
Bien que fondamentalement discrète, l’activité clandestine des résistants brestois s’est quelque peu ouverte avec le temps, probablement en réaction aux évènements d’août 1942 avec la tentative de débarquement à Dieppe puis du débarquement en novembre sur l’Afrique du Nord par les Alliés. La mission centrale et très compartimentée d’Alliance, côtoie désormais des tentatives de recrutements de groupes locaux dans chaque canton autour de Brest. Car si les consignes strictes de sécurité des réseaux sont claires, l’on peut estimer que l’envie d’agir, l’opportunité de bénéficier de bonnes volontés et d’étendre la zone couverte par la structure, le tout renforcé par le potentiel sentiment d’être les seuls actifs à Brest, aient surpassé le bornage d’activité prescrit par le réseau.
Au compte-goutte à l’hiver 1942, puis crescendo au printemps 1943, on a vu se constituer ici et là, sur Lannilis, Ploudalmézeau, Bourg-Blanc, etc.. des groupes de deux à quatre individus ayant pour consigne de repérer dans la population les patriotes qui seraient susceptibles de prendre les armes en cas de débarquement, de faire de la propagande, de fournir des renseignements ou plus généralement, d’aider la cause clandestine. On est ici dans les prémices d’un recrutement, davantage théorique que réel. Il faudra attendre l’automne 1943 pour un fort développement, là encore surement conditionné par les réactions enthousiastes aux débarquements de Sicile en juillet, de Corse et d’Italie en septembre.
Parmi les recrues, de nombreux résistants témoigneront après guerre avoir été recruté ou avoir été en contact dans la clandestinité avec Paul Masson. Citons notamment Joseph Grannec, Pierre Beaudoin et Jean Dréano dont la véracité de leur recrutement avec Paul Masson n’a pu être étayée. Citons également des recrutements beaucoup plus probables, comme Jean Le Gall (et son fils René Le Gall) car Masson et lui se connaissent bien depuis les années 1920. Le garagiste ayant prêté son garage pour les fêtes du quartier de Kerichen. Il y a également en août 1943, le recrutement dans le réseau du brigadier de police Marcel Dufosset, alors qu’il œuvrait déjà dans la clandestinité. Parmi les contacts du préparateur du laboratoire municipal de Brest, l’on peut aussi citer le président de la commission de ravitaillement de la ville Edouard Riban ou encore l’avoué Joseph Garion.
En juin 1943, Paul Masson et Georges Lacroix viennent en aide à Maurice El Michali et à son fils dans leur tentative de gagner l’Angleterre par l’Espagne. Citons également qu’à cette période, Yves Le Meur et Michel Villot, proches du réseau et du mouvement, optèrent pour le même trajet.
Du fait des restrictions sous l’occupation, les époux Masson se rendent environ deux fois par mois dans les Côtes-du-Nord, chez la mère et le frère de Marie à Châtelaudren, pour s’approvisionner en nourriture. En juillet 1943, par l’intermédiaire de Louis Corbel de Châtelaudren, Paul Masson est mis en relation avec Joseph Darsel, agent du réseau Mithridate et membre du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France (F.N). Une entente s’opère entre les deux hommes, Paul Masson l’aide notamment sur la question de propagande pour obtenir du ravitaillement, en lui fournissant des insignes portant un V encadrant une croix de Lorraine et des photos de petits format représentant de Gaulle en uniforme. Lors d’une nouvelle rencontre, Paul Masson informe que sa structure brestoise est intéressée de prendre contact avec le mouvement de Joseph Darsel.
" À Brest, me dit-il, nous n’avons pas la même façon d’opérer que dans l’action directe ; mes amis ont pensé qu’une rencontre pourrait leur être utile. Voulez-vous venir à Brest prendre contact avec eux ? " [3]
Darsel se rend à Brest dans l’été et rencontre deux responsables dont l’identité n’est pas connue, lors d’un rendez-vous fixé par Paul Masson. Une entente semble se nouer, principalement car Brest n’a pas de liaison directe avec une grosse organisation clandestine. Ils se sentent assez seuls et désirent donner de l’ampleur et plus de moyens à leurs groupements. En guise de prélude à cette union, Brest envoie Jean Le Scour en stage dans les Côtes du Nord durant quelques temps. Finalement le projet n’ira pas beaucoup plus loin, le démembrement d’Alliance fin septembre 1943 et l’union entre Défense de la France (D.F) et Libération Nord (L.N) à la fin de 1943, donne naissance à l’Armée Secrète (A.S) du Finistère.
Comme indiqué ci dessus, à la fin du mois de septembre 1943, le réseau Alliance s’effondre, la branche bretonne est durement touchée. Paul Masson est arrêté le 27 septembre 1943 ou plus vraisemblablement le 3 octobre à son domicile. Avec ses camarades d’infortune, le laborantin est interrogé à Bonne-Nouvelle en Kérinou. Interné pour la nuit à la prison de Pontaniou, il partage sa cellule avec le jeune Arthur Hendrycks (1924-2019), à qui il confie son alliance pour qu’elle soit remise à sa femme. Avait-il de funestes pressentiments ? La bague sera en tout cas transmise à Geneviève Poitou-Duplessy, qui la restituera à la famille Masson.
Dès le lendemain, Paul Masson et Marcel Dufosset sont transférés à la prison Jacques-Cartier de Rennes. Il est écroué sous le numéro 5027. Il va y rester trois mois, avant d’être transféré à Fresnes le 2 janvier 1944, en prévision de sa déportation et de son jugement. Une vingtaine de jours plus tard, le brestois est déporté le 24 janvier 1944 de Paris-Est vers Strasbourg et la prison de Pforzheim (Bade-Wurtemberg), sous le numéro d’écrou 509-560. Son dossier d’accusation pour espionnage et aide aux puissances ennemies est reçu et enregistré le 2 mars 1944, par le Tribunal de guerre du 3ème Reich (RKG).
Malgré son absence de Brest depuis plusieurs mois, la ville lui décerne en mai 1944, la médaille d’honneur communale.
Il n’y aura pas de comparution devant ce tribunal pour Paul Masson, l’avancée des armées alliées sur le sol de France bouleverse le programme nazi. Comme 24 de ses compagnons d’infortune, Paul Masson subit un simulacre de libération. Il est extrait de sa cellule le 30 novembre 1944 vers 6 heures du matin, signe le registre de levée d’écrou avec remise d’un billet de 10 marks. Ils sont tous exécutés d’une balle dans la nuque dans le bois d’Hagenschiess situé près de Pforzheim, les corps sont jetés dans un trou de bombe.
À titre posthume, il est homologué au grade de sous-lieutenant et décoré de la médaille de la Résistance française en 1946. Paul Masson sera également nommé Chevalier de la Légion d’honneur et recevra la Croix de Guerre 1939-1945, avec palme en 1953. La ville de Brest, en reconnaissance de ses actes clandestins, renomme une partie de la rue de la Vierge en son nom dès mars 1947.