GILLET Marie

Marie Anne Eugénie Maistre est née au 44 rue du Château à Brest. Elle est la deuxième fille d’Anaïs Daniel et de son époux Charles Maistre, chef d’escadron d’artillerie de Marine. Après une dernière affectation à Brest, son père quitte l’Armée le 16 août 1900, pour des raisons de santé, avant de devenir percepteur et de s’installer avec sa famille le 31 mai 1902 à Saint-Nicolas-du-Pelem où sa sœur Annie est née le 18 février 1905 ; Marie et sa sœur aînée Jeanne y sont scolarisées au couvent de Bothoa. Le 13 avril 1907, la famille Maistre s’installe à Plougasnou où Marie est scolarisée avant de rejoindre sa sœur Jeanne en octobre 1910, comme pensionnaire de l’Institution de la Légion d’honneur. Son père décède le 12 février 1913, son oncle le Général Paul Maistre devient son tuteur, elle tombe alors malade et ne retournera pas à la Légion d’honneur. Le 44 rue du Château à Brest redevient le logis familial, Plougasnou restant le lieu des vacances. Marie obtient en autodidacte son brevet simple en 1916 et, grâce à sa mère devient une excellente pianiste. En 1919 Marie séjourne à plusieurs reprises à Bourbonne-les-Bains chez sa tante Marie Maistre et, comme sa sœur Jeanne, elle prend le Maréchal Pétain en aversion.

Anaïs décède le 27 mars 1924 et Marie subvient à ses besoins en gardant des enfants, notamment auprès de la famille Condé qui séjourne souvent à Porspoder. Elle suit également des cours pour devenir infirmière bénévole au dispensaire-école de la Société de Secours aux Blessés Militaires de Brest (S.S.B.M) dont Jeanne est la directrice, au 5 rue de Lannouron puis au 15 rue du Château à partir de 1930. Marie-Thérèse Delalande seconde Jeanne au dispensaire-école, où Marie obtient son diplôme simple d’infirmière. Le 28 juin 1939, Marie obtient son diplôme de Spécialisation Z en prévision d’une guerre aéro-chimique.

À Porspoder et à Brest, Marie a rencontré Maurice Gillet qui, en 1938 et 1939 l’a invité pour une croisière sur son voilier l’Armor en compagnie de sa sœur Annie. À bord elle est surnommée la commandante. Quelques jours après leur retour d’une croisière dans les îles anglo-normandes et sur la côte nord de Bretagne, le 2 septembre 1939, les trois sœurs sont mobilisées. Le 8 septembre, Jeanne devient le chef d’équipe de l’Ambulance de chirurgie lourde de première ligne 407 du XI° Corps d’Armée, qui regroupe les 8 infirmières de la S.S.B.M de Brest et 7 à 8 infirmières de l’Union des femmes françaises (U.F.F) de Nantes. Leur drôle de guerre se passe à Saint-Omer dans le Pas-de-Calais, jusqu’au 11 mai 1940. Le lendemain, un travail épuisant commence en Belgique, à Zwijnaarde. Le 16 juin 1940, le repli débute puis s’achève le 25 juin à Montcléra dans le Lot. Dans le journal de marche de la 407ème A.C.L. il est noté :

« La guerre est finie… ou plutôt elle commence car la vie sera dure probablement en
attendant la revanche... »

Le 19 juillet 1940, les infirmières de l’A.C.L 407 sont citées à l’ordre de la Division et reçoivent la Croix de guerre 1939-1940, avec étoile d’argent. Le 22 août 1940, les trois sœurs Maistre retrouvent Brest occupée par l’Armée allemande. Jeanne Maistre reprend la direction du dispensaire-école qui est aussi le poste de secours de la Défense passive (D.P) du secteur I (intra-muros). Pour sa part, Annie va passer l’essentiel de son temps à préparer son diplôme d’État à Plougasnou, dans la maison achetée en 1938 par les trois sœurs, tandis que Marie se brouille avec ses sœurs et part à Porspoder chez les Gillet le 24 août 1940.

Le 10 septembre 1940, Marie épouse à Brest Maurice Gillet ; le couple s’installe dans l’appartement loué par les parents Gillet au 102 rue Jean-Jaurès. Marie est intégrée dans le poste de Défense passive brestois du secteur III (Crypte de l’église St-Martin) ce qui lui permet d’habiter Brest avec son mari et d’y circuler sans restriction de jour comme de nuit.
D’après René Simottel (fils), Maurice serait devenu un agent du 2° bureau de la Marine de Vichy dès avril 1941 [1].

Marguerite-Marie dite Maggy, la fille de Marie et de Maurice Gillet étant née le 18 août 1941 à Porspoder, on peut raisonnablement dater le début de la contribution de Marie aux activités d’espionnage de son mari à l’automne 1941, ce qui correspond à l’activité de leur ami Joël Lemoigne au sein de cet organisme à partir du 21 octobre 1941. Peu avant la naissance de sa fille, Marie a quitté son activité dans la Défense passive, elle est pleinement disponible pour aider son mari dans ses activités de renseignement et se déplace à Brest en uniforme d’infirmière.

L’archivage, la mise en forme des renseignements, leur chiffrement et beaucoup d’activités d’observations nécessitent une bonne vue, ce dont Maurice était privé, il avait eu besoin d’un secrétaire pour passer ses examens scolaires, son écriture est hésitante, Marie a naturellement tenu ce rôle. À partir d’août 1942, Maurice informe également le réseau Alliance, puis l’informe exclusivement en tant que chef du sous-secteur de Brest-Lorient, peu après le franchissement de la ligne de démarcation par les troupes allemandes. Pour Marie le changement des destinataires des informations recueillies ne change que les filières de transmission. Pour Alliance, Marie devient l’agent S21, adjointe du chef du sous-secteur de Chapelle. Marie Gillet serait également devenue, selon sa sœur Annie, une opératrice radio autodidacte avant le recrutement de René Prémel. Elle s’occupe toujours du chiffrement des messages, ce rôle étant réservé au chef de secteur ou à son adjoint.

En juin 1943, Hervé Delalande, le frère de Marie-Thérèse, se réfugie au 44 rue du Château dans l’immeuble des Maistre en attendant son transfert en Angleterre. Il est alors mis à contribution pour les migrations du poste radio du réseau Alliance dans la poussette de Maggy.

Le 24 septembre 1943, pour répondre à l’inquiétude de Marie-Madeleine, chef du réseau Alliance réfugiée à Londres, Maurice fait partir son dernier message avant d’entrer en clandestinité. Roger Abalan a témoigné de la présence du couple ce jour là à l’angle de la place Wilson et de la rue Émile-Zola.

Le lundi 27 septembre 1943, jour de la collecte du courrier du sous-secteur, le couple Gillet rompt sa clandestinité et rejoint l’appartement du 102 rue Jean Jaurès, le Sicherheitspolizei-Kommando (S.D) les y rejoint, les arrête et tend une souricière. Amélie Simottel venue en voisine, Pierre Letullier le chef de secteur venu de Rennes, Pierre et René Guézenec, René Jamault, André Guyomard et Clara Machtou s’y font prendre. Tous sont conduits à l’école de Bonne-Nouvelle à Kerinou où sont également incarcérés Georges Lacroix, Marie Le Bacquet, Marguerite et René Prémel, Joël Lemoigne, Léon et Alix Gillet ainsi que leurs trois petits enfants Maggy Gillet, Yannick et Jacques Desgeans. Ces trois enfants sont isolés de leurs proches et enfermés dans une pièce sombre. Maggy s’enferme momentanément dans le mutisme après son arrestation.

Le 29 septembre 1943 à 16h45, Marie et ses 15 compagnons du réseau Alliance sont incarcérés à la prison Saint-Jacques à Rennes, les trois enfants sont alors sortis de prison par Madame Poitou-Duplessy, infirmière des prisons de Brest, et recueillis par Jeanne Maistre. Cette dernière se rend régulièrement à Rennes pour des motifs professionnels et en profite pour faire ravitailler sa sœur, par l’intermédiaire de l’infirmière de la prison. Le 22 novembre 1943, Jeanne est arrêtée, au retour d’une de ses visites à Rennes puis transférée le 29 novembre à Rennes. Marie-Thérèse Delalande prend alors le relais du ravitaillement de la famille Gillet-Maistre.

Des conditions de détention de Marie Gillet à Rennes, on connaît peu de chose. Toutefois, Mesdames G. Darley, pendant 3 mois et Jeanne Gautier, du 29 octobre 1943 au 2 janvier 1944, ont successivement partagé la cellule de Marie. Elles ont écrit à Annie Maistre en 1945, en précisant que Marie souhaitait que ses sœurs conservent Maggy auprès d’elles si ses parents ne revenaient pas. On peut en déduire que son espoir de survie était faible.

Le 2 janvier 1944, c’est le départ vers Fresnes pour Marie, Amélie Simottel, Joël Lemoigne, Georges Lacroix, René Jamault, Clara Machtou, René et Marguerite Premel, Marie Le Bacquet, Paul Masson qui a été arrêté le 3 octobre, Alice Coudol qui a été arrêtée le 4 octobre, Jean-Louis Eozénou qui a été arrêté le 15 novembre, Marcel Dufosset qui a été arrêté le 20 novembre, et de 8 personnes du sous-secteur de Rennes. Les détenus arrivent à Fresnes le 3 janvier et en repartent le 24. La procédure Nacht und Nebel (N.N) est engagée, deux lettres d’une codétenue, Yolande Lagrave, permettent d’en suivre les contours :

« Nous sommes partis de Fresnes le 24 janvier, je me souviens, c’était un lundi matin ; dans les couloirs immenses de cette prison, nous étions alignées, sans parler, nous passons à la douche pour une visite médicale purement fantaisiste, là, j’ai vu Mme Gillet avec sa grande cape bleue d’infirmière… »

« Oh ! Ce Fresnes ! Nous montons, nous descendons, nous remontons, nous passons au bureau, on nous rend nos bagages et des voitures cellulaires nous attendaient dans la cour, deux dans chaque compartiment, sans lumière, sans air, nous traversons Paris et nous nous trouvons à la gare de l’Est ; le train est parti le soir ; nous avons voyagé toute la nuit. »

Arrivée à Strasbourg le 25 janvier à 7 heures, départ en camion à 9 heures pour la prison de Pforzheim (Bade-Würtemberg) où Marie est inscrite sur le Livre des détenus justiciables sous le numéro d’écrou 509-584. Elle fait ensuite l’objet d’une anthropométrie puis Marie est internée dans la cellule n° 11 avec Amélie Simottel. Marie le Bacquet et Marguerite Premel les ont ensuite rejointes par manque de place. Y. Lagrave occupait la cellule n° 12 voisine, en compagnie d’Alice Coudol, Clara Machtou et deux autres membres d’Alliance. Les cellules correspondaient entre elles par coups frappés au mur.

« Les premiers jours, Mme Gillet est allée au cachot car elle avait été surprise en train de regarder les hommes à la promenade pour savoir si son mari et son beau-père se trouvaient là ; par la suite, elle a regardé à nouveau, jamais elle ne les a vus, donc ils n’étaient pas à la prison de Pforzheim. Cela la préoccupait beaucoup, où étaient-ils ?? Elle pensait aussi à sa petite fille qu’elle avait laissée… »

« Dans la prison nous avions conservé nos vêtements, Mme Gillet n’avait plus de chaussures, le gardien (Alsacien) lui avait donné des souliers de bois... »

« Notre nourriture était épouvantable, insuffisante, nous mangions parce que nous voulions tenir, soupe de son, rutabaga, pois moisis, pain moisi, une fois par semaine bout de margarine, et eau ... eau ... nous "mangions de l’eau" notre estomac était mis à une telle épreuve qu’il ne pouvait plus rien supporter, nous rejetions tout ce que nous absorbions, tout au moins une camarade et moi, et notre intestin nous faisait mal... »

« Nos occupations n’étaient pas dures, nous travaillions beaucoup, cela nous évitait de trop penser car à la fin c’était trop long ! Nous étions gardées par des hommes, les garde-chiourmes... »

« Nous avons souffert ; ils étaient durs, à de certains moments nous étions terrorisées, d’autres jours étaient calmes, nous chantions des airs patriotiques, des cantiques, nous redoutions la fin, qu’allait-il se passer en se voyant perdus ?... »

Contrairement à ses compagnes de cellule, Marie Gillet n’a pas fait l’objet d’une mesure relevant de la Gestapo, son jugement était donc prévu. Son dossier d’accusation pour espionnage et aide aux puissances ennemies a été reçu et enregistré le 2 mars 1944, par le Tribunal de guerre du 3ème Reich (RKG). Il n’y aura pas de comparution devant ce tribunal pour Marie, l’avancée des armées alliées sur le sol de France a bouleversé le programme du RKG : Strasbourg a été libérée le 23 novembre 1944, Hervé Delalande faisait partie des libérateurs. Le massacre systématique des détenus du réseau Alliance s’est poursuivi.

Y. Lagrave a décrit le départ des détenus d’Alliance à Pforzheim, le matin du 30 novembre 1944 : réveil à 5 heures, levée d’écrou, versement de 10 Marks aux 26 hommes et femmes du réseau Alliance pour leur faire croire à une libération, départ en camions vers le bois du Hagenschieβ à environ 2 km de la prison. Là, tous sont abattus d’une balle dans la nuque dans une mare d’eau recouverte de branches après l’action.

Le charnier a été découvert le 25 mai 1945, les autopsies ont montré que huit dépouilles présentaient des traces de barbarie, celle de Marie n’en fait pas partie. Les cercueils ont défilé devant la population réunie par les autorités militaires françaises, puis ont été inhumés provisoirement au cimetière de Pforzheim, puis enfin rapatriés. Marie Gillet repose désormais au cimetière Saint-Martin de Brest.

À titre posthume, Marie Gillet a été reconnue comme chargée de mission de troisième classe de la D.G.E.R (sous-lieutenant). Elle obtient la mention Morte pour la France et reçoit les distinctions suivantes :

  • Chevalier de la Légion d’honneur (1958)
  • Croix de guerre 1939-1945, avec palme (1944)
  • Médaille de la Résistance française (1946)
  • Médaille de la déportation et de l’internement pour faits de Résistance

Citation à l’ordre de l’Armée, du 27 novembre 1944 :

« Épouse du Chef de Secteur de Brest au S.R. Alliance l’a grandement secondé dans l’accomplissement de sa mission recherchant elle-même des renseignements de premier ordre sur la base navale et opérant de périlleuses missions entre les agents côtiers et le poste de radio clandestin. Arrêtée par la Gestapo en plein travail a été déportée avec son mari ainsi que d’autres membres de sa famille. Massacrée à Pforzheim le 30 novembre 1944 est un très bel exemple d’héroïsme féminin. »

En son souvenir, son nom et celui de sa sœur Jeanne figurent sur une plaque commémorative à Ker-Stears (voir Portfolio). À Pforzheim, une stèle proche de la Hochschule et du Hagerschieβ commémore le supplice des 26 agents d’Alliance.

La sépulture de Marie Gillet se trouve dans le cimetière de Saint-Martin [Carré 6, Rang 10, Tombe 26] à Brest.

Publiée le , par BRUN, mise à jour

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Portfolio

Plaque commémorative à Ker-Stears (Brest)
Crédit photo : Gildas Priol

Sources - Liens

  • Famille Gillet-Brun, iconographie et archives personnelles.
  • Ordre de la Libération, registre des médaillés de la Résistance française (J.O du 13/07/1947).
  • Service historique de la Défense de Vincennes, dossiers d’homologation des faits de résistance (GR 16 P 385638 et GR 16 P 550232).
  • Service historique de la Défense de Caen, dossier d’attribution de la mention Morte pour la France à Marie Maistre-Gillet (AC 21 P 81023 et AC 21 P 481238).
  • Archives départementales du Finistère, dossier de combattant volontaire de la résistance (1622 W 13).
  • BRUN Bernard, Marie Maistre et Maurice Gillet, à compte d’auteur, 2018.
  • Brest métropole, service des cimetières - sépulture de Marie Gillet.

Remerciement à Françoise Omnes pour la relecture de cette notice.

Notes

[1Le rapport final du Sicherheit Dienst de Strasbourg du 2 août 1944 retient le début de l’année 1942 pour commencement de cette activité.