MAISTRE Jeanne

Jeanne Thérèse Marie Maistre est l’aînée des trois filles de Charles Maistre [1] et d’Anaïs Daniel [2]. Ses parents se sont mariés à Brest, le 13 mars 1893, avant de partir à Tahiti où le Capitaine Charles Maistre est affecté comme Commandant des Troupes d’Artillerie de Marine. En août 1897, la famille revient à Brest, Jeanne Maistre et les siens s’installent alors au 44 rue du Château ; dans l’immeuble de la famille Daniel. Pour des raisons de santé le Chef d’escadron Charles Maistre quitte le service actif le 16 août 1900 et pour des raisons pécuniaires il devient percepteur, d’abord à Saint-Nicolas-du-Pelem en 1902 puis à Plougasnou en 1907. La scolarité de Jeanne Maistre se déroule au couvent de Bothoa à Saint-Nicolas-du-Pelem, puis à Brest avant qu’elle n’entre comme pensionnaire de la Légion d’honneur à Saint-Denis en 1906. En 1913, son père décède. Jeanne Maistre et ses sœurs sont alors placées sous la figure tutélaire de leur oncle (et parrain pour Jeanne) le Général Paul Maistre.

En 1914, déjà détentrice du diplôme simple d’infirmière de la Société de secours aux blessés militaires (S.S.B.M), Jeanne devient infirmière bénévole de l’hôpital temporaire 105 de Brest. Après l’armistice, un séjour à Bourbonne-les-Bains chez sa tante Marie Maistre l’informe des mauvaises relations entre Philippe Pétain et son parrain, elle prend alors le Maréchal en aversion. Le 7 avril 1924, après le décès de sa mère, Jeanne devient la tutrice de sa jeune sœur Annie. Diplômée supérieure de la Croix-Rouge française (C.R.F), détentrice des diplômes S.S.B.M de monitrice et d’administration, Jeanne Maistre reçoit son diplôme d’État par équivalence le 17 février 1927. Après avoir suivi une formation complémentaire à l’École de la Croix-Rouge à Paris, elle prend la direction du dispensaire-école de Brest, secondée par Marie-Thérèse Delalande. Ses deux sœurs Annie et Marie feront alors partie de ses élèves.

À la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, les trois sœurs sont mobilisées. Jeanne devient le chef d’équipe de l’Ambulance de chirurgie lourde de première ligne 407, qui regroupe les 8 infirmières de la S.S.B.M de Brest et 7 à 8 infirmières de l’Union des femmes françaises (U.F.F) de Nantes. Leur drôle de guerre se passe à Saint-Omer dans le Pas-de-Calais, jusqu’au 11 mai 1940. Le lendemain, un travail épuisant commence en Belgique, à Zwijnaarde. Le 16 juin 1940, le repli commence, il s’achève le 25 juin à Montcléra dans le Lot. Dans le journal de marche de la 407ème A.C.L.P.L il est noté :

« La guerre est finie… ou plutôt elle commence car la vie sera dure probablement en attendant la revanche... »

Le 19 juillet 1940, les infirmières de l’A.C.L 407 sont citées à l’ordre de la Division et reçoivent la Croix de Guerre 1939-1940, avec étoile d’argent. Le 22 août 1940, les trois sœurs Maistre retrouvent Brest occupée par l’Armée allemande. Jeanne Maistre et Marie-Thérèse Delalande reprennent leurs activités au dispensaire. Toutes ces infirmières seront bientôt intégrées dans la Défense Passive (D.P), leur conférant des laisser-passer pour circuler dans Brest, de jour comme de nuit. Cependant, les sœurs se séparent rapidement : Annie va passer l’essentiel de son temps à préparer son diplôme d’État à Plougasnou tandis que Marie se brouille avec ses sœurs et part à Porspoder chez les Gillet le 24 août 1940.

En juin 1943, Hervé Delalande, le frère de Marie-Thérèse, se réfugie au 44 rue du Château dans l’immeuble des Maistre et concourt aux migrations du poste radio du réseau Alliance dans la poussette de Maggy, fille de Marie et de Maurice Gillet née le 18 août 1941. Jeanne Maistre a fait la connaissance de ce bébé pendant l’hiver 1941-1942 et en devient même la marraine.

À partir de cette période, il est certain que Jeanne Maistre est consciente des activités de résistance des Gillet, d’autant que son beau-frère parvient à faire transférer Hervé Delalande en Angleterre [3], le 12 août 1943 par le bateau La Rose Effeuillée. La tradition familiale transmet aussi la participation de Jeanne Maistre à la distribution du journal du mouvement Défense de la France (D.F), bien qu’elle n’en soit pas membre.

À la suite de l’arrestation des Gillet par les agents de l’Aussenkommando Brest du Sicherheitspolizei-Kommando (S.D), le 27 septembre 1943, les appartements du 44 rue du Château sont perquisitionnés. Rien de compromettant n’y est trouvé. Jeanne Maistre y héberge simplement sa filleule Maggy Gillet et ses cousins Yannick et Jacques Desgeans, après leur sortie de Bonne-Nouvelle.

Jeanne se rend régulièrement à Rennes pour des motifs professionnels et en profite pour faire ravitailler sa sœur qui y est incarcérée, par l’intermédiaire de l’infirmière de la prison. Le 21 novembre 1943, au retour d’une de ses visites, elle apprend être convoquée le lendemain à la Kommandantur de Brest. Jeanne Maistre s’arrête alors chez des amis à Landerneau où Marie-Thérèse Delalande l’attend. Malgré les conseils de ses amis, elle décide de se présenter pour éviter de fâcheuses conséquences à ses jeunes élèves. Elle est aussitôt arrêtée, puis après un premier interrogatoire, banal selon Marie-Thérèse Delalande, elle est transférée le 29 novembre 1943 à Rennes où elle aurait subi un second interrogatoire, toujours banal, selon la même source.

Marie-Thérèse Delalande obtient régulièrement de ses nouvelle par la Croix-Rouge. Elle lui fait parvenir son nécessaire et apprend qu’elle tricote pour sa filleule. Maistre s’occupe également de soigner ses compagnes d’infortune. Elle soigne notamment Jeanne Gautier de la scarlatine. Cette dernière avait auparavant partagé la cellule de Marie Gillet. Selon un rapport du 23 mai 1944 du S.D de Rennes : Jeanne Maistre a été confrontée successivement avec Maurice Gillet et Georges Lacroix (avant janvier 1944 par conséquent). Maurice Gillet aurait déclaré avoir informé Jeanne de son rôle dans l’organisation Alliance et qu’elle avait en son absence recueilli une fois du courrier pour lui. Ces dires auraient été confirmés par Georges Lacroix. De son côté Jeanne Maistre nie, ce qui entraîne une appréciation des enquêteurs :

« Maistre au cours de ses auditions a donné une impression particulièrement négative et mensongère. Ses déclarations doivent être considérées comme fausses. »

Jeanne est ensuite transférée le 31 mai 1944 à Fresnes. Elle est alors classée comme détenue Nacht und Nebel (N.N). À partir de ce moment là, son amie Marie-Thérèse Delalande perd sa trace. Les colis qu’elle lui fait parvenir lui sont retournés. Le 14 juillet 1944, Jeanne Maistre est de nouveau transférée. Après l’anthropométrie à Strasbourg enregistrée sous le numéro 373/44, elle arrive le 17 juillet au camp de Sdhirmeck où elle est internée dans le Garage, lieu de détention des femmes sur lequel rien n’a filtré. Dans la nuit du 1er au 2 septembre 1944, Jeanne Maistre fait partie des 106 membres du réseau Alliance et des 35 maquisards du G.A Vosges qui sont tués et incinérés au Struthof.

À titre posthume, Jeanne Maistre est nommée sous-lieutenant, chargée de mission de 3° classe de la D.G.E.R et homologuée agent de liaison en décembre 1945. Son nom est inscrit sur le mémorial du Struthof et une rue de Brest porte son nom depuis novembre 1946. Son nom est également inscrit sur une plaque commémorative à Ker-Stears à Brest (voir le portfolio). Elle obtient les distinctions suivantes :

  • Chevalier de la Légion d’honneur (1958)
  • Croix de Guerre 1939-1945, avec palme
  • Médaille de la Résistance française (1946)
  • Grande médaille d’honneur de la Croix-Rouge française (1946)
  • Certificat de services, signé par le Maréchal Montgomery (1946)

Publiée le , par BRUN, mise à jour

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Portfolio

Plaque commémorative à Ker-Stears (Brest)
Crédit photo : Gildas Priol
Rue Jeanne Maistre, Quartier Saint-Marc, Brest

Sources - Liens

  • Service historique de la Défense de Vincennes (GR 9 YF 17843).
  • Ordre de la Libération, registre des médaillés de la Résistance française (J.O du 13/10/1946).
  • Livre d’or de la France combattante et résistante, éditions Gloire, 1948.
  • Association Amicale Alliance, Mémorial de l’Alliance - dédié aux 432 membres d’un Service de Renseignements militaires, morts pour la France sous l’Occupation allemande, 1940-1945, à compte d’auteur, 1948.
  • FOURCADE Marie-Madeleine, L’Arche de Noé, éditions Fayard, 1968.
  • LE BRAS Joël, La Croix-Rouge fut leur flambeau - de Solférino à Sadi-Carnot, éditions Celtics Chadenn, 2002.
  • BRUN Bernard, Marie Maistre et Maurice Gillet, à compte d’auteur, 2019.
  • BRUN Bernard, Paul Maistre - Tomes 1 et 2, à compte d’auteur, 2020.

Remerciement à Françoise Omnes pour la relecture de cette notice.

Notes

[1Né à Joinville en Haute Marne, le 6 juillet 1854.

[2Née à Brest, le 26 avril 1859.

[3Il intègrera l’École des Cadets de la France Libre, promotion 18 juin.