LAMANDÉ Jean

Jean Pierre Lamandé et ses deux frères François (1911-1970) et Guillaume (1919-1936), sont les enfants d’une ménagère et d’un père instituteur-directeur de l’école publique de Saint-Méen. Du fait des blessures subi par leur père durant la Grande guerre, les trois fils seront adoptés par la Nation comme pupilles. En décembre 1930, le père succombe à seulement 44 ans. Ses obsèques rassemblent une foule importante venue de tout le canton. La famille est à nouveau endeuillée avec la disparition du benjamin de la fratrie en 1936. Des deux frères restant, l’aîné épouse une institutrice et devient à son tour, instituteur près de Carhaix.

Pour sa part, Jean Lamandé contracte un engagement volontaire dans la Marine nationale en décembre 1934. Il entre à l’école des radiotélégraphistes pour s’y spécialiser et en ressort en juillet 1935. Sa première affectation est à bord du contre-torpilleur L’Audacieux (ZF5), sur lequel il découvre les côtes du Sénégal et de Guinée. En juillet 1936, Jean Lamandé est promu quartier-maître. En juin 1938, il est transféré à l’unité marine de Saïgon, au Tonkin (actuel Vietnam), où il sera à nouveau promu, au rang de quartier-maître chef. Alors qu’il se trouve à Haïphong , il semble pris d’un coup de foudre et épouse Damia Bent-Zohrah, le 29 octobre 1938. À l’été 1939, il est rappelé en métropole pour servir à bord du sous-marin Casabianca (Q183), en Mer du Nord. Son épouse le suit et s’installe à Saint-Méen, au domicile familial des Lamandé.

Durant la Guerre 1939-1940, le radio de Saint-Méen participe à la campagne de Norvège. Le 18 juin 1940, son bâtiment se trouve à Brest quand tombe l’ordre d’évacuation de la flotte. Son sous-marin, qui était en carénage, parvient à s’échapper et rallie le Maroc. Jean Lamandé est mis en congés d’armistice ou démobilisé (?) en septembre 1940 et se retire à Saint-Méen.

Sous l’occupation allemande, il rend quelquefois visite à son frère [1], instituteur à Plounévézel, commune limitrophe de Carhaix. Lors de ses passages à Carhaix, il s’arrête au café du 7 de la rue Brizeux, tenu par les deux sœurs Pastor. Jean Lamandé va y nouer une idylle avec l’une des patronnes, Louise "Lisette" Pastor (1918-2001). La sœur de cette dernière, Marie (1910-1966), est l’épouse depuis 1936 de Joseph Le Borgne (1913-1942).

Mi août 1941, Joseph Le Borgne, membre de l’Action française et guichetier-facteur à la gare S.N.C.F de Plouguer, est mis en relation avec Jean Le Roux (1919-2009), radio du réseau Johnny. Cette entremise fut réalisée par Jacques Andrieux (1888-1945), docteur à Carhaix, lui même royaliste et Jean Lavalou (1897-1969), pharmacien du Guilvinec. L’agent et les deux intermédiaires se connaissant depuis l’organisation d’une évasion maritime vers en Angleterre, avec le navire L’Émigrant en décembre 1940.

Témoignage de Jean Le Roux (Juin 1943) :

" Ensuite, j’ai placé un poste à Carhaix, chez monsieur Le Borgne (Ndr Joseph Le Borgne), employé des chemins de fer et j’ai recruté un radio, Lamandé. À ce moment-là j’ai quitté la Bretagne pour Paris et j’ai laissé Alaterre en liaison avec ce poste. " [2]

Le radiographiste Mévennais, de par sa spécialité dans la Marine, intègre de fait la résistance fin août de l’année 1941 et met ses compétences au service des liaisons radio avec l’Angleterre. Avant de partir se mettre au vert à la capitale, Jean Le Roux semble avoir préconisé à Jean Lamandé et Joseph Le Borgne de ne pas émettre plus de deux fois au même emplacement, lui même étant intimement persuadé d’avoir échappé de justesse à une arrestation pour cette raison.

Les émissions et réceptions débutent depuis Carhaix, semble t-il le 23 août 1941. Jean Lamandé ne chiffre pas lui-même les messages et se contente de transmettre ceux que lui fournissent le réseau. Le premier message est porté par Robert Alaterre (1907-1983) en personne, conduit à Carhaix par Louis Chavaroc (1900-1980). Une dizaine de messages dans chaque sens sont échangés entre l’Angleterre et le réseau (source ?). Joseph Le Borgne se charge des liaisons entre Carhaix et Rosporden, d’où les messages sont apportés par un ami cheminot sur Quimper. Les messages à destination de l’Angleterre suivent le trajet inverse.

Mais très rapidement, l’affaire tourne court. Moins de vingt jours après sa mise en place, le poste radio de Carhaix tombe. Les circonstances et modalités de cette chute restent floues, tant les sources divergent. Quoi qu’il en soit, le 9 septembre 1941, le 7 rue Brizeux est perquisitionné, les deux couples sont arrêtés et le poste radio émetteur saisi.

Conduits à la Kommandantur de Guingamp, où a lieu un premier interrogatoire, les quatre français doivent être remis au contre-espionnage allemand, l’Abwehr d’Angers, siège de ce service pour grand Ouest (District B). Les prisonniers sont transférés en véhicule, sous bonne escorte. Dans les Côtes du Nord (actuellement Côtes d’Armor), un accident touche le transport. Le véhicule est percuté sur un passage à niveau par un train sur la commune de Broons, un allemand est tué et plusieurs blessés sont à dénombrer, dont les Pastor. Restant solidaires, Joseph Le Borgne et Jean Lamandé restent avec les victimes. Marie Le Borgne a le bassin fracturé, elle est transportée à l’hôpital de Rennes, tandis que Joseph Le Borgne, Jean Lamandé et Lisette Pastor sont envoyés à Angers.

Coïncidence, un agent du réseau récemment recruté travaille comme étudiant en médecine à l’hôpital. Malgré la surveillance de la patiente, il parvient à entrer en contact avec Marie Le Borgne. L’information est ensuite relayée dans le Sud Finistère. Robert Alaterre envoie Jean-Louis Benoit, assureur de Quimper, prévenir des arrestations de Carhaix Jean Le Roux, installé à Bois-Colombes (92). Outre la perte d’un poste radio, ces arrestations provoquent une crainte légitime au sein du réseau. Craignant de nouvelles perquisitions, certaines mesures sont prises, mais dans les jours qui suivent, rien ne se passe.

Transitant entre le service de l’Abwehr et la prison d’Angers où il est incarcéré, Jean Lamandé est plusieurs fois interrogé (et torturé ?) entre septembre 1941 et février 1942. Selon Aloÿs Gross, collaborateur-interprète [3] et le colonel Friedrich Dernbach, chef de l’Abwehr Ouest, le radio accepte un marché en janvier 1942, contre libération des trois autres prisonniers ou juste pour lui et sa "femme" (Lisette Pastor) [4]. Il devient dès lors un Vertrauen Mann (homme de confiance), sous le pseudonyme Fulla et parfois Louans. Si les deux femmes sont bien libérées (quand ?), Joseph Le Borgne est transféré le 20 décembre 1941 à la prison de Fresnes.

Simulant une évasion, l’agent retourné est lâché dans la nature, avec pour mission de reprendre contact avec les membres de son réseau, à Quimper. L’opération est semble t-il supervisée par Aloÿs Gross, avec l’aide de deux membres de la Geheime Feldpolizei (G.F.P) en soutien [5]. Les Allemands font parcourir la ville-préfecture à Lamandé, en quête d’informations et adresses. Le 11 février 1942, Jean Lamandé se présente à Quimper, chez Louis Chavaroc, à qui il fait croire son évasion. Chaque soir, Fulla doit se rendre dans un café fréquenté de la gare de Quimper, pour y faire un rapport à son superviseur. Lors du 4e rapport, Jean Lamandé indique que Chavaroc commence à se méfier de lui, ou selon une autre source, qu’il cherche à l’éloigner en lui proposant une planque à Bénodet [6].

Les Allemands jugent probable la perte de lien et décident alors d’enclencher les arrestations, qui débutent le 14 février puis le 16 février 1942. Le réseau, déjà connu, affaibli et traqué depuis l’été 1941, vit ses dernières semaines. Les interrogatoires des résistants arrêtés à la mi février, amènent à de nouvelles arrestations. Après Quimper, l’hémorragie s’étend dans tout le Finistère puis bientôt à Paris et Rennes.

À la fin de l’hiver 1942, la trace de Jean Lamandé se brouille dans les multiples versions retrouvées dans les témoignages, ouvrages et rapports. Il semble avoir continué à être employé par les Allemands sur la trace de résistants du réseau en cavale, ou sur d’autres opérations en Bretagne.

Comble de malheur, Joseph Le Borgne, dont Jean Lamandé avait pourtant négocié la libération, comparaît devant le tribunal militaire du Gross Paris le 16 juillet 1942, qui le condamne à mort pour espionnage. Un recours en grâce est déposé mais rejeté, Joseph Le Borgne est fusillé le 24 juillet 1942 à la forteresse du Mont-Valérien en Suresnes.

Jean Lamandé est libéré quelque temps après, pour inefficacité selon Gross, pour raison médicale selon Dernbach. Fin 1942, il retrouve Saint-Méen et constate que son épouse a définitivement quitté le domicile conjugal. Il renoue des liens avec ses camarades de jeunesse et ne semble pas évoquer ses antécédents. Professionnellement désœuvré, il pêche, fréquente les cafés, les bals clandestins et des filles tout en jouant au football dans l’équipe locale.

Figure classique du marin en congés d’armistice, c’est dans le cadre du recrutement d’officiers ou d’hommes ayant une expérience militaire dans le canton de Lesneven à partir de l’année 1943, que Jean Lamandé semble être approché pour rejoindre la résistance locale, placée sous la direction du mouvement Défense de la France (D.F). Sa date de recrutement reste à confirmer mais cela daterait de septembre 1943 [7], nous ignorons cependant l’identité de son recruteur. Son activité de l’automne 1943, au printemps 1944 ne nous est pas connue.

Au début juin 1944, le Kommando de chasse I.C 343, basé à Landerneau, a été informé par la Geheime Feldpolizei (G.F.P) de Brest de l’identité probable de résistants à Lesneven. Dans la nuit du 2 au 3 juin 1944, une rafle est menée à Lesneven et Ploudaniel, conduisant à l’arrestation de 14 personnes et à la recherche de plusieurs autres suspects. Dans le canton, c’est la panique, plusieurs patriotes, recherchés ou non, se mettent au vert. C’est le cas de Jean Lamandé qui part se mettre à l’abri chez son frère à Plounévézel.

Sans que l’on puisse préciser la datation, l’ancien radio revient à Saint-Méen quelque temps après et reprend contact avec Henriette Berder. Cette dernière l’affecte à Kérougon en Saint-Méen, pour y encadrer le maquis naissant, composé de jeunes résistants Brestois en fuite.

Hélas, revoilà le kommando de chasse allemand I.C 343, s’intéressant au secteur de Lesneven car mis sur la piste du maquis de Kérougon suite à un rendez-vous à Saint-Divy avec Jean-Marie Cavalloc, entrepreneur originaire de Sizun (Comment celui-ci a t-il obtenu l’information ? Cela reste un mystère). Les Allemands décident en tout cas de mener l’enquête le 13 juillet 1944. Herbert Schaad, le sergent Friedrich Horch et le supplétif français Jean Corre se rendent dans les fermes des environs pour obtenir des précisions. La collecte est semble t-il suffisante pour qu’une fois rentrés à Landerneau, une expédition soit décidée pour le lendemain de bonne heure.

Le 14 juillet 1944 au petit matin, les Allemands investissent les abords de la ferme qui sert de maquis. Il y a bien une sentinelle en arme mais celle-ci sommeille, elle est rapidement désarmée et faite prisonnière. L’alerte est cependant donnée rapidement et une fusillade éclate entre maquisards et allemands. Les trois supplétifs français présents ce jour là du côté allemand firent également le coup de feu.

Le combat se révèle cependant inégal, notamment à cause de grenades lancées dans la ferme. Seuls Pierre Hagnéré, Georges Midrouillet et Roger Henry parviennent à s’échapper à travers champs. Un quatrième malheureux parvenu à s’extraire de la ferme tente également de fuir mais il n’a pas fait vingt mètres qu’un tir le fauche mortellement.

Parmi les victimes tuées lors de l’attaque ou abattues sommairement sur place dans la foulée, figure Jean Lamandé et ses compagnons Jean Berlivet, Louis Berthou, Jean Gouriou, François Kerbrat, Jean Le Bris, Robert Le Page et Joseph Nicolas. Le fermier hébergeur, Louis Thépaut, est abattu à quelques centaines de mètres de là par les allemands pour l’aide apportée aux maquisards. D’autres fermiers des environs sont faits prisonniers et envoyés à Landerneau et relâchés rapidement sans répercussion après interrogatoire.

Après guerre, un monument commémoratif est érigé en 1946, non loin du lieu des combats, le nom de Jean Lamandé et des huit autres victimes sont gravés. À titre posthume, il est décoré de la Croix de Guerre 1939-1945, avec étoile d’argent en 1946 et reçoit la mention Mort pour la France. Son nom n’est cependant pas ajouté au monument aux morts de la commune, car à partir de 1946, débute un feuilleton dramatique portant des accusations à son sujet, dont certaines pèsent toujours injustement sur sa mémoire en 2024.

Car en 1946, les survivants et déportés rescapés du réseau Johnny, chercheront légitimement à découvrir les raisons et les coupables de leur démantèlement. Jean Lamandé se trouvera posthumément dans le collimateur de ses anciens compagnons. Des démarches sont entreprises auprès du préfet de la Libération Aldéric Lecomte, et bientôt sa mention Mort pour la France est retirée en février 1947, sur ordre du Ministère des anciens combattants.

L’affaire se propageant localement, par une cruelle mécanique de raccourcis faciles, appuyée qui plus est sur une fausse déclaration, Lamandé devint suspect pour l’attaque du maquis de Kérougon. Après tout, si il avait trahi en 1942, pourquoi pas en 1944 ? Or dans la documentation d’époque, et notamment les procès-verbaux d’interrogatoires des membres et supplétifs du kommando de chasse allemand I.C 343, absolument rien ne laisse à penser que Jean Lamandé puisse être responsable de quoi que ce soit. L’idée fera néanmoins son chemin, jusqu’à ce que son nom soit supprimé en juillet 1964 de la stèle de Kérougon. Pour combler l’espace désormais vide, et surtout pour rester cohérent avec le texte de façade indiquant 9 victimes, c’est le nom de Roger Henry, rescapé du maquis mais tué au combat du Corsen un mois plus tard, qui vint remplacer celui de Jean Lamandé, faussant dès lors l’histoire.

AUX NEUF FUSILLÉS
DU 14 JUILLET 1944
AU MAQUIS DE KEROUGON
REQUIESCANT IN PACE

Quatre-vingts ans après les faits, il serait bienvenu à la mairie de Saint-Méen, de faire à nouveau rectifier le monument afin qu’il reflète la réalité historique, en réinscrivant le nom de Jean-Lamandé. Ceci ne ferait pas disparaître des mémoires Roger Henry pour autant, puisque son nom figure sur la stèle du maquis de Kergoff en Tréouergat. Jean Lamandé est bien mort au combat, le 14 juillet 1944 à Kérougon, face aux Allemands. Dissimuler ce fait, ou tenter de le réduire, n’est pas rendre service à l’histoire et donc par extension, à notre mémoire collective.

Publiée le , par Gildas Priol, mise à jour

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Portfolio

Stèle du maquis de Kérougon
Photo Gildas Priol - 2018
Etienne Pengam et Jean Lamandé (1943 ou 1944)
Crédit photo : Etienne Pengam, communiquée en 2019.

Sources - Liens

Remerciements à Françoise Omnes pour la relecture.

Notes

[1Son frère aîné François (1911-1970) sera membre de la résistance au Bataillon La Tour d’Auvergne plus tard durant la guerre.

[2Archives nationales, Archives du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale - Résistance intérieure, Réseau Johnny, Interrogatoire de Jean Le Roux à Londres (72AJ/59 Dossier n°3).

[3Dont l’affectation à Angers reste incertaine, car ne figurant pas dans la liste des effectifs, militaires et collaborateurs détaillés par Dernbach (interrogatoire Nuremberg).

[4Selon les archives de la CIA - OSS/SSU/CIG Early CIA Documents Vol.1 - CI Intermediate Interrogation - Report no 57 - 11 Dec 1946.

[5Dernbach n’évoque pas la présence de Gross pour cette opération. Archives de la CIA - OSS/SSU/CIG Early CIA Documents Vol.1 - CI Intermediate Interrogation - Report no 57 - 11 Dec 1946.

[6COUANAULT Emmanuel, Des agents ordinaires - Le réseau "Johnny" . 1940-1943, éditions Locus Solus, 2016, page 96.

[7Attestation d’Henriette Berder, datée de 1946.