LAFLEUR Eugène

Eugène Constant Toussaint Lafleur est le fils d’une journalière et d’un mineur. Durant ses études, il passe avec succès ses certificats d’études primaires et secondaires. Après une formation de tourneur sur métaux, il est employé chez Sautter-Harlé, lors de la Première Guerre mondiale. Il échappe au front car son entreprise est classée usine de guerre. Il participe en mai 1918 aux grèves déclenchées dans ces usines, pour protester contre la continuation de la guerre. Alors qu’il réside au 34 rue Dupleix dans le XVe arrondissement de Paris, il épouse en juillet 1918 Suzanne Ouin, dont il eut un fils.

Durant l’entre-deux-guerres, Eugène Lafleur s’investit dans le syndicalisme et adhère au Parti communiste français (P.C.F) après le congrès de Tours. En 1936, il travaille désormais aux usines Citroën de la place Balard. À la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, il n’est pas mobilisé car trop âgé. Le 15 avril 1940, il est licencié pour arrêt volontaire de travail. En septembre 1940, il s’inscrit au fonds de chômage de l’arrondissement. Il continue le militantisme de manière clandestine depuis l’interdiction du parti, ce qui lui vaut d’être arrêté début février 1941 et interné à la prison de la Santé jusqu’en juin 1941. Pour ne pas le laisser libre, les autorités françaises le placent sous le coup d’un arrêté préfectoral d’internement administratif. Pas du tout décidé à subir un nouvel internement, Eugène Lafleur s’évade du dépôt dans la nuit du 7 au 8 juillet 1941, avec une vingtaine d’autres militants communistes.

Selon Eugène Kerbaul, le fugitif Lafleur s’est fait discret plusieurs semaines avant d’être envoyé à Brest. Sa date d’arrivée dans la cité du Ponant est méconnue. Il adopte une fausse identité, même vis à vis des militants clandestins du parti et trouve un emploi dans la société A.Dodin, comme métallurgiste. Toujours selon Kerbaul, le parisien exilé en Bretagne aurait eu des responsabilités politiques à Brest [1]. Il est également parfois cité comme organisateur de l’Organisation spéciale puis responsable des Francs-tireurs et partisans (F.T.P). Tout ceci n’est pas clairement établi dans la mesure où l’organigramme communiste brestois est assez bien défini et qu’il n’y apparaît nullement. De par son statut, il a pu cependant agir comme conseiller auprès des triangles de direction du parti et des groupes de l’Organisation spéciale.

Le seul rôle précis qu’on puisse lui attribuer à Brest ne date que du printemps 1942. Le 14 mai 1942, à la suite de la condamnation à mort du résistant communiste Carlo De Bortoli, le P.C.F par la main d’Albert Abalain, adresse une lettre au policier ayant produit un faux témoignage au procès. Il lui est demandé de se rétracter publiquement afin de sauver le brestois d’une éventuelle exécution. La demande est assortie d’un avertissement qu’en cas d’application de la sentence envers le résistant, ce policier serait lui même jugé par un tribunal de la résistance et probablement condamné à mort. Le policier n’effectue pas la démarche, il est alors condamné à mort par Albert Abalain, Pierre Corre et Eugène Lafleur [2].

Il aurait pris part à de nombreuses actions sur Brest durant son séjour. À ce jour, aucune n’est connue à part la diffusion de la propagande. Le 29 septembre 1942, Eugène Lafleur s’enfuit de chez Albert Rolland lors d’une descente de la police française et de la S.P.A.C d’Angers. Il se réfugie chez Pierre Corre mais quelques heures plus tard ce domicile est à son tour perquisitionné. Le propriétaire parvient à s’enfuir et trouver refuge chez Louis Le Guen. Pour Eugène Lafleur, le répis n’a été que de courte durée, il est appréhendé. C’est le début d’une vaste opération policière à Brest et en Bretagne. Elle permettra de démanteler une grande partie de la Résistance communiste locale, sans pour autant parvenir à l’éradiquer. Durant ses interrogatoires, Eugène Lafleur est suspendu par les mains puis frappé durant plusieurs heures à coup de cravache pour obtenir ses aveux.

Rapport de police du 24 novembre 1942 :

« Eugène Lafleur distribuait des tracts en ville et sur les chantiers, tracts que lui remettait Abalain Albert. Il fit circuler des listes de souscription du Secours populaire en faveur des internés politiques dont il était délégué pour le bâtiment. Vers juillet dernier, il fut nommé membre de la Section départementale du parti dirigée conjointement par Corre et Abalain Albert.

Il reconnaît avoir reçu au début d’août 1942, 21 feuilles de tickets de pain provenant d’un cambriolage commis dans la Loire-Inférieure. Il les vendit à raison de 100 frcs l’une, et versa 1.700 frcs à Abalain et 400 frcs à Rolland Albert, pour alimenter la caisse du parti. Il est partisan de l’action directe. »

Il est interné à la prison du château de Brest avec les autres résistants communistes raflés à la même période. Après un passage sur Rennes pour y être jugés par un tribunal français, les résistants communistes sont remis aux autorités allemandes. Jugé sur Paris en août 1943, Eugène Lafleur est condamné à mort au motif d’avoir entrepris de recréer le parti communiste illégal, dans le but de combattre les troupes allemandes d’occupation.

Eugène Lafleur est fusillé à la forteresse du Mont-Valérien, le 17 septembre 1943, aux côtés de 18 autres résistants communistes brestois. Leurs dépouilles sont transférées le jour même pour inhumation au cimetière d’Ivry-sur-Seine.

À titre posthume, il est homologué au grade fictif de sergent-chef et décoré de la médaille de la Résistance française en 1959. Son nom figure à Brest sur la stèle du square Yves Giloux, à Paris sur la plaque de l’Union fédérale de la métallurgie 94 rue Jean-Pierre Timbaud (XIe arr.), ainsi que sur la cloche en bronze au Mont-Valérien à Suresnes.

Publiée le , par Gildas Priol, mise à jour

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Portfolio

Stèle F.T.P du square Yves Giloux à Saint-Marc (Brest)
Avis d’exécution des 19 F.T.P brestois
Photo d’Eugène Lafleur sur sa fiche de police (1942)
Crédit photo : Le Maitron

Sources - Liens

  • Archives départementales de Meurthe et Moselle, fiche matricule militaire.
  • Archives départementales du Finistère, rapport de police du 24 novembre 1942 (200 W 70).
  • Service historique de la Défense de Vincennes, dossier individuel de résistant d’Eugène Lafleur (GR 16 P 329253), aimablement transmis par Edi Sizun et dossier Procès des FTP de Brest (GR 28 P 8 57 29), aimablement transmis par Brigitte Snejkovsky (2023).
  • Ordre de la Libération, registre des médaillés de la Résistance française (J.O du 13/01/1959).
  • Le Maitron, notice biographique d’Eugène Lafleur.
  • KERBAUL Eugène, 1270 militants du Finistère (1918-1945), édition à compte d’auteur, Paris, 1985.
  • KERBAUL Eugène, Chronique d’une section communiste de province (Brest, janvier 1935 - janvier 1943), édition à compte d’auteur, Paris, 1992.

Remerciements à Françoise Omnes pour la relecture de cette notice.

Notes

[1Cf. KERBAUL Eugène, Chronique d’une section communiste de province (Brest, janvier 1935 - janvier 1943), édition à compte d’auteur, Paris, 1992, page 287.

[2La veille de l’exécution de Carlo De Bortoli, le 21 août 1942, le policier sera la cible d’un attentat par Jean-Louis Primas.