F.F.I Ploudalmézeau / Cie Russe
[Août - Septembre 1944]
La Compagnie Russe de Brest est une unité atypique, regroupant les quelques 164 russes, ukrainiens, baltes, polonais et tchèques ralliés aux Forces françaises de l’intérieur (F.F.I) en août 1944. Ces hommes aux parcours variés sont originaires de lointaines contrées soviétiques. Ils sont d’anciens prisonniers de guerre recrutés par anticommunisme et opposition au régime stalinien ou de manière plus pragmatique ; pour échapper aux conditions effroyables des stalags allemands. Avant leur ralliement aux F.F.I, ils servaient au sein de l’Ostruppen Bataillon n°633 de l’Armée Vlassov [1]. Fort de quatre compagnies et plus de 650 hommes, ce bataillon arrive dans le secteur de Brest au mois de décembre 1943 en remplacement d’une unité allemande mutée sur le front de l’Est. Encadrés par des officiers et sous-officiers allemands, ces soviétiques restent considérés comme des sous-hommes. Le bataillon 633 occupe les positions du mur de l’Atlantique de Ploumoguer, Plouarzel, Lanildut, Porspoder, Ploudalmézeau et Saint-Pabu tandis que son état-major cantonne au château de Kergroadez en Brélès. Mal encadrés et laissés libres de divaguer, ils se font rapidement une sinistre réputation.
Malgré cela, car pressentant le côté versatile de ces hommes, le contact est noué par Nathalie Douillard pour le compte de la Résistance. Durant six mois, les discussions évolueront en tractations, principalement avec le Lieutenant de 1ère classe Vladimir Rasoumovitsch. Il faut attendre le printemps 1944 pour qu’enfin, une partie de cette unité accepte de se rallier aux F.F.I. Les multiples défaites du IIIe Reich face à l’U.R.S.S et la pression Anglo-américaine en Afrique et Italie n’y sont sûrement pas étrangères. Sans doute incité par le ralliement de ces russes, le chef départemental F.F.I Mathieu Donnart donne l’ordre le 25 juin 1944, d’essayer de retourner les soldats russes présents dans le département ou de s’assurer de leur neutralité au moment des combats.
Début août 1944, à l’approche des américains, la Wehrmacht ordonne alors à ses troupes de rejoindre la forteresse de Brest. Les Russes de l’Ost-Btl 633 sabotent le matériel intransportable et incendient leurs baraquements. Lors du repli, Rasoumovitsch et ses hommes se laissent distancer et au signal convenu, se débarrassent de l’encadrement allemand à coups de crosses et à l’arme blanche. Ils épargnent un vieil interprète et rallient le maquis de Kergoff à Tréouergat, poste de commandement du Bataillon F.F.I de Ploudalmézeau. Leur emploi au combat, envisagé par l’État-major F.F.I est soumis à l’accord de la 6ème division blindée des U.S.A récemment arrivée dans le secteur. Le premier engagement militaire des volontaires russes a lieu à l’encontre de l’importante station radar allemande de Saint-Pabu. Le Bataillon de Ploudalmézeau projette de s’emparer de cette place forte qui depuis plusieurs jours, pilonne ponctuellement le bourg et les environs de Landéda. Dans la nuit du 11 août, les combattants F.F.I et les Russes encerclent et harcèlent la garnison de coups de fusils sporadiques ou de tir de mitrailleuses. Malgré la position intenable et la démoralisation, les allemands refusent de se rendre aux F.F.I, craignant les représailles. Lannilis à peine libérée, l’État-major F.F.I sollicite le concours des troupes américaines pou hâter la capitulation de la position fortifiée de Saint-Pabu. Après de brefs pourparlers et là présence dissuasive d’un peloton blindé U.S, les 287 allemands de la station radar se constituent prisonniers.
Le 14 août, le commandement U.S décide de conquérir la position fortifiée du Corsen. Le gendarme Joseph Grannec, commandant du Bataillon de Ploudalmézeau, engage dans l’opération une section de sa 1ère Compagnie et le détachement F.F.I russe du Lieutenant Georgu Kutajev. La ligne de front des F.F.I se situe au niveau de Lanildut et Brélès. Le secteur est loin d’être sécurisé, une telle offensive sans protection sur ses flancs, s’avère périlleuse. Les hommes, transportés par les camions des Ponts et Chaussées jusqu’à Trézien, progressent et bivouaquent à deux kilomètres de l’objectif. Dans la soirée du 15 août, les canons de la redoutable batterie lourde de Kéringar tonnent et pilonnent le bourg de Trézien.
Au matin du 16 août, les tirs germaniques, guidés depuis un poste d’observation dans le clocher de Ploumoguer, bombardent avec acharnement les lignes françaises. Les allemands tentent, avec de l’infanterie, une puissante attaque. En infériorité numérique (1 contre 4), les patriotes opposent une résistance acharnée mais se trouvent menacés de débordement. L’intervention précise des fusils-mitrailleurs et mortiers du détachement russe de Georgu Kutajev, infligent de lourdes pertes et brisent l’assaut ennemi qui parvient néanmoins à reprendre Trézien. Dans l’affrontement, les forces françaises déplorent la perte de trois combattants. L’habileté avec laquelle les hommes du Lieutenant Kutajev ont su rétablir la situation suscite le respect aux combattants F.F.I. Ils sont revigorés par la présence à leurs côtés de ces soldats expérimentés venus du lointain Oural, devenus des camarades de combat. Autre point positif, la compagnie russe gagne définitivement la confiance de l’état-major F.F.I et devient le fer de lance du Bataillon de Ploudalmézeau.
Les jours suivants, de sporadiques escarmouches opposent les F.F.I à des patrouilles allemandes. Le 25 août, les Russes déployés au centre du dispositif, concentrent leurs efforts sur la position retranchée du Corsen. Quatre jours de lutte acharnée et trois attaques d’infanterie achèvent de réduire cette position allemande. Les F.F.I et la compagnie russe enregistrent la capture de 60 officiers et soldats allemands.
Acculé, l’ennemi se retranche sur la poche du Conquet. Le 30 août, les 1ère et 3ème compagnies du bataillon de Ploudamézeau, renforcés par la compagnie Russe se chargent avec succès du nettoyage du hameau de Kerlochouarn. Le 3 septembre, les F.F.I reçoivent la mission de s’emparer d’Illien. Sans soutien de l’artillerie, les unités appuyées par une compagnie d’infanterie américaine se lancent à l’assaut du redoutable bastion. La farouche ténacité avec laquelle la position [2] allemande résiste, empêche malgré la bravoure des assaillants, toute progression. Sur ordre du commandement U.S, l’unité américaine présente sur les lieux se retrouve affectée vers un autre objectif. Le professionnalisme militaire et le courage des russes, sans omettre le cran des F.F.I sous les feux de l’ennemi, font forte et bonne impression aux officiers américains. Pour maintenir l’illusion de la présence américaine dans ce secteur, une quinzaine de russes perçoivent, en toute confiance, des tenues de combat américaines. Le harcèlement de la presqu’île d’Illien se poursuit jours et nuit jusqu’au 10 septembre, date de la capitulation de la garnison allemande. Après la reddition de la poche du Conquet, l’unité russe fait mouvement sur la Trinité-Plouzané pour un éventuel déploiement sur la forteresse de Brest. Au soir du 16 septembre, la compagnie russe occupe les forts du Mengant, du Dellec et les grèves avoisinantes.
Après la libération, la compagnie russe bivouaque dans la région du Conquet où elle assure le ramassage des armes et du matériel abandonné. Le 4 octobre 1944, le Lieutenant-Colonel Baptiste Faucher, Commandant des F.F.I de l’arrondissement de Brest, adresse un courrier aux autorités départementales F.F.I pour que lui soit attribué des fonds supplémentaires afin de régler les soldes et surtout le ravitaillement de cette unité. Il fait également une demande explicite pour que l’unité soit employée à d’autres tâches et qu’elle soit dirigée sur un front actif. Le 13 octobre, Baptiste Faucher adresse également un courrier à l’état-major F.F.I de l’arrondissement de Lamballe, où d’autres Russes stationnent, pour envisager un regroupement. Malgré ces initiatives, les Russes sont toujours en faction à l’ouest de Brest début novembre mais cette fois du côté de Brélès. Les accords de Moscou du 29 juin 1945 stipulent que tous les soviétiques, civils comme militaires doivent être rapatriés vers l’U.R.S.S. Devenu des indésirables sur le territoire national, les anciens F.F.I russes sont convoyés jusqu’à Rennes, puis rassemblés avec leurs homologues près de Bordeaux. Ils regagnent par voie maritime, l’appréhension au cœur, la mère patrie. L’impitoyable régime stalinien réclame des comptes à ces anciens soldats ayant trahi leur patrie. Dès leur arrivée sur le sol natal, des pelotons de la police soviétique fusillent les officiers. Les hommes du rang connaîtront les conditions épouvantables de l’univers des camps Sibériens.
Présentation rédigée par Gildas Priol, le 14 décembre 2022.