JEANSON Pierre

Après l’école communale, Pierre Jeanson commence un apprentissage de mécanicien dans un garage d’une succursale Citroën à Troyes. En 1936, le service militaire l’appelle dans les chasseurs d’Afrique, ce qui lui permet de faire un séjour au Maroc. Mis en disponibilité en 1938, en raison de la loi sur les deux ans, il s’attend à une démobilisation totale en octobre de l’année suivante ; mais la guerre survient. Rappelé au dixième GRCA, qui est un régiment de cavalerie formé à Beaune, en Côte d’Or, il subit la débandade, comme tout le monde. Rendu à la vie civile, il s’associe dans un premier temps avec quelques anciens camarades pour récupérer ici et là des matériels militaires abandonnés dans certains secteurs.

Cette activité ne mène pas loin. Toutefois, elle dispose peu à peu à connaître d’autres patriotes refusant de se résigner devant l’Occupation. En sorte que, lorsqu’il est embauché comme chauffeur dans une entreprise de transport sous-traitant avec la Todt dans la région brestoise, il ne se prive pas de bien observer les mouvements de la Kriegsmarine, l’entrée et la sortie des navires, les réparations réalisées à l’Arsenal, les travaux de la base sous-marine et bien d’autres choses encore, afin d’en informer des correspondants de Paris où il se rend fréquemment. Nous sommes en 1942. Le réseau qui l’emploie s’appelle Manipule. Fondé en février de cette année-là sous un autre nom, par Robert Reyl et Michel Bedel, en relation avec des patriotes belges, il dispose d’une boîte à lettres au 12 de la rue de Nice, chez mademoiselle Renée Tribout. Et c’est à cette adresse que, de fil en aiguille, Jeanson en vient à connaître le bijoutier lyonnais René Aubertin, qui le met en rapport avec Claude Lamirault, du réseau Jade.

Les pénates brestoises de Jeanson se situent dans les baraquements situés aux abords du fort du Questel où de nombreux ouvriers de la Todt sont concentrés. Une curiosité en amenant une autre, il établit des rapports privilégiés avec des marins pompiers et un interprète requis par la Wehrmacht qui accepte de lui traduire certains documents. Puis, de semaine en semaine, sachant que les besoins en renseignements sont de plus en plus pressants, il demande et obtient de travailler pour le compte exclusif de Jade, sans autre attache. Entre temps, Manipule est passé sous la houlette du BCRA qui recommande à ce réseau de cibler ses efforts de préférence sur le Nord.

Par sécurité, Jeanson possède maintenant plusieurs adresses dans l’agglomération brestoise. Les pensions meublées sont évitées ; ce sont des sympathisants qui lui prêtent une chambre au gré de ses besoins. À la rigueur, pour peu de temps, un hôtel peut dépanner. Conformément aux mêmes règles de prudence, il n’a pas de contact direct avec tous ceux qui, de près ou de loin, se mettent à son service. Quelques uns, seulement. Par exemple, outre les marins pompiers, l’étudiant François Jullien dont la famille réside dans le quartier du Landais, à Kerébézon. Orphelin de mère, François a trouvé un emploi temporaire à l’Arsenal grâce à son oncle René Jullien, ingénieur à la direction des travaux maritimes. Il circule d’un atelier à l’autre, de cale en entrepôt.

À Rennes, on apprend vite l’existence d’un certain Sarol qui n’est autre que Jeanson. Les relais dont il bénéficie sur toute la Bretagne sont importants, et les cloisonnements empêchent de savoir quelle est son identité véritable, mais il devient une référence incontournable, y compris pour des patriotes qui, pour n’être pas rattachés au réseau, remplissent le rôle d’informateurs occasionnels. Les questionnaires qu’il soumet à des correspondants choisis sont d’une grande précision. Et ces correspondants s’efforcent autant que possible de mobiliser les amis qui les entourent.

Impliqué dans le dispositif d’évacuation des aviateurs en décembre 1943 (voir fiches Hentic, Virot, Person, entre autres), il est invité à se joindre à eux pour parfaire sa formation à Londres auprès du MI6. Il échappe alors à la vague d’arrestations qui concernent les chefs du réseau en janvier. Au moment de son retour par parachute le 6 février 1944, à 11h du soir entre Toury et Boisseaux, au sud d’Etampes dans le Loiret, la plus grande prudence lui est conseillée par le MI6. Car le contre-espionnage allemand maintient la traque des agents que les interrogatoires menés à Paris permettent de cibler.

Malheureusement, le jeudi 4 mai, il s’apprête à couler une journée paisible avec sa petite fille, née onze mois plus tôt. On cogne à la porte. Des excités vocifèrent. Aucune politesse, ils vont droit au but, accusent Jeanson de terrorisme, d’espionnage. Jeanson nie, tente de se disculper. Ils exigent des aveux et par surcroît le nom de « complices ». Emporté, transféré dans les bureaux parisiens de l’avenue Foch, il est incarcéré à Fresnes.

En août 1944, il est extrait de sa cellule et poussé dans un convoi de cars avec d’autres détenus. Le convoi traverse Paris et gagne à Compiègne le camp de Royallieu. Le canon des Américains tonne à Rambouillet. Sur place, la fouille est expéditive. L’embarquement dans un train, tout autant. L’arrivée à Buchenwald, pareille.

Les longs mois qui mènent jusqu’au printemps 1945 qui verra sa libération sont jalonnés de détresses et de confiances instables. Quand les Américains touchent les portes de Weimar, les prisonniers du camp soumis à une marche forcée vers l’Est se demandent si les SS ne les mènent pas au bout des ténèbres. Des exécutions sommaires sont perpétrées dans les fossés de la route. Jeanson marche. Il marche, comme les autres. Le moment viendra bien où la surveillance se relâchera. Aujourd’hui ou demain. Ce matin, ce soir, entre chien et loup.

Le moment vient. Plutôt mourir en tentant de fuir qu’à genoux dans la poussière du chemin. Un talus, un bosquet. Jeanson chuchote avec quelques compagnons et s’écarte d’un coup. Aucune réaction. C’est gagné. Le petit groupe reprend la direction opposée. Il erre dans la campagne. Bientôt, les grondements du canon le rassurent. Sauvé !