Robert (Joseph, Armel) Cruau naît à Fégréac (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique) le 12 mars 1921. Son père, Louis, était facteur des postes. Le fils suit le parcours du père, entre aux Chèques postaux à Nantes, puis à la recette principale de Nantes. Ses études secondaires lui ont permis d’apprendre et de bien parler allemand. Il adhère à la C.G.T. et participe au mouvement des Auberges de Jeunesse. C’est là qu’il rencontre les militants trotskistes du Parti socialiste Ouvrier et paysan (P.S.O.P.) de Marceau-Pivert, dont le leader est Yvan Craipeau.
À l’été 1940, les trotskistes, jusqu’alors dispersés dans plusieurs groupes (Comité pour la 4ème Internationale, Jeunesses socialistes révolutionnaires) se regroupent dans le Parti Ouvrier Internationaliste. Leur bastion est le mouvement des auberges de jeunesse, dans lequel ils vont puiser leurs jeunes militants. Sous couvert des auberges de jeunesse, des stages de formation ont lieu en zone libre, à Mollans (Drôme), auxquels participe Eliane Ronël. Robert Cruau et les frères Berthommé, Georges et Henri, diffusent tracts et journaux clandestins (Le Front Ouvrier, organe clandestin des ouvriers de la région nantaise) et en octobre 1942, pour protester contre la réquisition d’ouvriers français pour le travail forcé en Allemagne, les usines et chantiers navals de Nantes débrayent. « j’ai personnellement incité au débrayage avec d’autres camarades des chantiers Dubigeon » écrira Henri Berthommé, ajusteur chez Dubigeon.
Jean-René Chauvin, membre de la direction du P.O.I, se replie sur Nantes en 1942 et travaille avec Cruau et les frères Berthommé. À Quimper, la militante Éliane Ronël accueille Jean-René Chauvin quelques jours à la fin de l’année 1942. L’appartement des Ronël devient la plaque tournante du mouvement trotskiste en Bretagne. Fin mars 1943, arrivent à Quimper, les militants nantais, qui pour des raisons de sécurité et parce que réfractaires au S.T.O. ont besoin d’entrer dans la clandestinité. Ils vont participer à a mise en place de la stratégie dite du Travail allemand.
Éliane Ronël
« Nous envisageons en commun et discutons des formes appropriées d’activités pour la région bretonne et particulièrement le travail allemand. »
Dès lors, le groupe se réunit régulièrement le dimanche rue Pen-ar-Steir.
« Les réunions régionales groupant 6 à 8 camarades se tiennent le dimanche chez moi »
Le Travail allemand consiste à provoquer la fraternisation avec les soldats allemands, dans l’idée de favoriser le défaitisme au sein des troupes allemandes et de démoraliser l’occupant en diffusant des tracts, un journal, et en recrutant des soldats allemands dans leur cellule de résistance. Il est à Brest animé par Robert Cruau, seul à parler correctement l’Allemand.
À Brest existe un groupe trotskiste, rescapé des jeunesses du P.S.O.P., qui dès 1940 est actif. Il agit notamment contre le Service du Travail Obligatoire en octobre 1942. Les autorités allemandes ont décidé d’expédier sept cent ouvriers de l’Arsenal de Brest à Hambourg. Le groupe rédigera un tract, appelant à s’organiser et diffusé à un millier d’exemplaires dans les boites à lettres. Les communistes font de même et au départ du train la foule est nombreuse devant l’arsenal où attend le train. Les jeunes commencent à crier À mort Laval ! L’Internationale est chantée et des milliers de personnes foncent vers le port de commerce pour arrêter le train. Deux groupes de manifestants, estimés à plusieurs milliers de personnes traversent la ville. Vers 23 heures, la feldgendarmerie essaie d’arrêter la manifestation en interpellant plusieurs jeunes, relâchés dans les 48 heures. Il n’y eu aucune volonté d’aggraver la situation.
André Calvès, militant du groupe
« Ce qui est sûr, c’est qu’à dater de ce jour, personne ne répondra aux convocations. Quand les Allemands voudront des travailleurs pour le Reich, ils devront les arrêter d’abord. L’idée qu’on est nombreux à vouloir résister est née à Brest, ce soir-là »
En août 1943, une vingtaine de militants se réunissent en Finistère (Daoulas ou Le Faou) et définissent les axes de leur action. Cruau est chargé du contact avec les soldats allemands. Depuis le printemps, il a engagé un contact avec une quinzaine de soldats. En juillet, le parti décide de diffuser un journal Arbeiter und Soldat (Le travailleur et le soldat), entièrement en langue allemande.
Robert Cruau engage la conversation dans la rue avec des soldats : « on propose une cigarette et on demande du feu. Enfin on dit « Scheisse Krieg hein ! ». Guerre de merde. S’il dit Ya ! Ya ! on tente d’engager le dialogue. » (Jean-René Chauvin). A Brest, et uniquement à Brest, cela marche.
André Calvès
« Robert Cruau a la chance de contacter un sergent dont le père était responsable communiste. Ce sergent est déjà assez politisé. Il peut utiliser certains cachets et rendra bien des services à plusieurs copains. André Darley contacte un autre soldat de la D.C.A..
Très vite, il y aura un petit groupe de soldats allemands qui rédige une feuille que nous tirons à une centaine d’exemplaires : « Arbeiter im Westen ». Selon Robert, la feuille touche très directement vingt-sept soldats et marins. Mais les cloisonnements sont mal assurés. Un jour, Robert réunit dix soldats chez une copine fraîchement recrutée, Anne Kervella qui a une maison sur la route du Vallon. Dix soldats ensemble ! C’est de la folie. Personne ne le dit. On croit tous, bêtement, que tout ira toujours bien ».
Le journal intitulé Zeitung für Arbeiter und Soldat im Westen (Journal du soldat-travailleur [sur le front] de l’ouest) est tiré à 150 exemplaires et en plusieurs numéros.
« La ronéo est cachée chez André Calvès qui se charge de taper les tracts. « Les articles se terminaient par des appels : « Ne vous faites pas les chiens de garde du capitalisme et du nazisme. Aidez les jeunes travailleurs français à lutter contre les déportations » (Erwan Le Bris du Rest, conférence le 16 février 2013, médiathèque des Ursulines, Quimper).
Robert Cruau utilise auprès des Allemands plusieurs pseudonymes (dont Pléton, Max, pseudonyme connu de la Gestapo en octobre. Il opère sous l’identité de Roger Albert Cosquer, né le 12 mars 1918, comptable de profession, et habitant 55, rue Jules Guesde, à Brest.
Un soldat allemand, de l’organisation T.O.D.T. utilise le cachet de l’organisation pour truquer les cartes de travail des réfractaires au S.T.O.. Un travail de renseignement sur les équipages de sous-marins de la base sous-marine débute. En septembre, au moins une vingtaine de soldats sont impliqués. Par eux, Konrad Leplow, de Hambourg, chargé de diffuser le journal parmi les soldats de la D.C.A.. Un défaut de cloisonnement va trahir le groupe. Leplow assiste à une réunion avec Calvès, Cruau, et un autre soldat, Heinz. Leplow va trahir le groupe. André Calvès en a la certitude, dès qu’il débarque le 14 octobre à Brest. Il n’a pas connaissance à ce moment de la rafle et croise par hasard Leplow à la gare de Brest. Ce dernier est surpris par la présence de Calvès et lui répond que tout va bien ! Un moment plus tard, Calvès est informé par la famille Trévien de la rafle et de la mort de Robert Cruau. Il en déduit aussitôt la trahison de Leplow.
Alors qu’une dernière réunion se tient à Quimper le 5 octobre, le lendemain 6 octobre 1943 un vaste coup de filet a lieu à Paris (arrestation notamment de David Rousset) décapitant le POI et sa section allemande et à Brest, avec l’arrestation de Robert Cruau. Eliane Ronël est arrêtée à Quimper. A Brest, le 7, sont arrêtés André Floc’h et Albert Goavec. Également arrêtés, Gérard Trévien, 23 ans, ouvrier tôlier à l’Arsenal, André Darley, 23 ans, photographe, Anne Kervella, Marcel Baufrère, 29 ans, manœuvre postier ; le 20 octobre, Henri Berthommé, ajusteur à l’arsenal de Brest, est arrêté à Nantes. André Calvès, arrivé à Brest le 14, échappe aux arrestations ainsi que Marguerite Métayer, en mission à Paris. Au total, onze militants bretons seront déportés, Georges Berthommé, Yves Bodénez, responsable régional du P.O.I, Albert Goavec et André Floc’h décèdent en déportation.
Des arrestations et des exécutions ont lieu parmi les soldats allemands (Il y aurait eu 15 exécutions).
Le 6 octobre 1943, Robert Cruau est abattu par les sentinelles dans la cour de l’école de Bonne-Nouvelle à Brest, siège du S.D., selon certaines versions. Robert Cruau est déclaré décédé sous l’acte n°372, « Le six octobre 1943 à dix-sept heures est décédé, 55 rue Jules-Guesde, Roger Albert Cosquer, né le 12 mars 1918, comptable (sans autres renseignements). Dressé le sept octobre 1943, à 10 h 50 sur la déclaration d’Émilien Magueur, 37 ans, employé de l’hospice civil » (L’adresse est celle de l’hospice civil, Émilien Magueur est l’employé chargé d’enregistrer les décès).
L’ordonnance rectificative du tribunal de Brest, en date du 23 août 1945, redonne à Robert Cruau sa véritable identité, après une enquête qui conclut que « c’est pour échapper aux allemands que Cruau avait dû cacher à son entrée à l’hôpital de Brest sa véritable identité ». La formule permet la rectification de l’acte dressé en 1943.
Robert Cruau, blessé à mort, a été transporté à l’hospice Ponchelet, situé dans le quartier de Kéruscun, où il décède peu de temps après son arrivée.
Il est porté sur l’acte d’état civil « Mort pour la France ». L’assassinat de Robert Cruau est le début d’un drame qui va concerner des dizaines de militants français et allemands.
Sa tombe se trouve dans le carré des fusillés, au cimetière de la Chauvinière, Nantes. C’est un lieu régulier d’hommages.
A titre posthume, il reçoit pour son action clandestine, la médaille de la résistance française en 1953.