DUPERRIER Albert

Albert Adolphe Duperrier, habitant Scrignac, fut arrêté par le 12 juin 1944, lors d’une opération par le commando de chasse IC 343, assisté par des nationalistes bretons. Il était soupçonné d’avoir trempé dans l’organisation et la réalisation du meurtre de l’abbé Perrot, curé de Scrignac, et figure emblématique du mouvement breton. Emprisonné à la prison de Pontaniou, il fut fusillé le 7 août 1944.

Albert Duperrier naquit le 12 mars 1888 à Paris, 7ème arrondissement. Son père, Armand, 34 ans, était cuisinier, sa mère, Marie Élisa, née Welter, 31 ans, sans profession. Après s’être engagé dans l’artillerie entre 1906 et 1914, il devint électricien-monteur. Mobilisé en 1914, blessé à la jambe en 1916, il finit la guerre comme maréchal-des-logis et fut démobilisé en mars 1919. Le 30 août de la même année, il épousa Anna Louise Daoulas à Issy-Les-Moulineaux. Le couple eut deux enfants et travailla en région parisienne jusqu’en 1938. Selon Eugène Kerbaul, il adhéra au Parti communiste français (P.C.F) et était syndicaliste aux P.T.T. En décembre 1938, Anna Louise fut nommée receveuse des postes à Scrignac (Finistère). Son mari obtint un poste à la chambre de commerce de Brest. Le 19 juin 1940, il en démissionne, ne souhaitant être au contact des forces d’occupation. Après un séjour à Paris dans une entreprise d’électricité (décembre 1940- juin 1941) il revint à Scrignac, où il poursuivit son action de propagande, diffusant tracts et journaux du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France (F.N).

Le couple professait un patriotisme ardent. Lors du débarquement des troupes américaines en Afrique du nord, Albert Duperrier aurait fait diffuser la Marseillaise par haut-parleur dans le bourg, ce qui lui valut une première interpellation à la Feldkommandantur. ( ce fait retracé par Bricler dans sa correspondance et par Guy Péron, de la bouche d’Albert Duperrier, mais d’autres sources indiquent que cela se passait dans son appartement, au dessus du bureau de Poste-tabac, tenu par son épouse). Ce jour-là l’abbé Perrot serait venu acheter des timbres et aurait fait la remarque à Mme Duperrier que cela était imprudent. Début 1943, il fut dénoncé pour ses sentiments "communisants" et "anglophiles" auprès de Yann Bricler, un entrepreneur quimpérois pronazi, membre du Parti national breton (P.N.B), et cousin d’Olivier Mordrel, l’un des leaders du mouvement breton. Bricler est trésorier du la revue STUR, animée par Mordrel, revue qui prône une collaboration active avec les Allemands.

Yann Bricler avait commencé à ficher les personnes à surveiller ou à arrêter, les informations étaient procurées par son réseau du Parti national breton. Le 10 février 1943, il établit une liste intitulée Rapport des activités communistes ou anglophiles actives (disponible en bas de cette notice) dans laquelle il note sur le couple Duperrier :

« Ils dirigent l’opinion de Scrignac et sont à arrêter tous les deux. »

Le 19 février, il transmit la liste à son cousin Olivier Mordrelle, qui devait la faire parvenir à qui de droit. Entre les Duperrier, pro-communistes, et non-brittophones, et l’abbé Perrot, anticommuniste viscéral, partisan acharné de la langue bretonne, il existait un contentieux très lourd. La receveuse des Postes s’opposait frontalement à l’abbé. Ainsi des courriers de l’abbé au directeur du journal La Bretagne, Yann Fouéré, attesteraient la détestation de J.-M. Perrot pour les Duperrier [1]. Mme Duperrier refusait de distribuer les lettres adressées à l’abbé, ayant des adresses rédigées en Breton. le préfet régional Quenette dut ouvrir une enquête qui se traduisit par un blâme (janvier 1943). Il apparaît cependant que l’abbé prit la défense de la receveuse des postes, contre son éventuel déplacement.

Dès lors le couple Duperrier devint une cible potentielle. L’arrestation de Duperrier en juillet 1943, fut perçue par la population comme une manœuvre de l’abbé Perrot, ce qui n’est pas le cas. Le 11 juillet 1943, Albert Duperrier avait été arrêté par la police allemande à la suite d’une dénonciation [2], en compagnie de l’abbé Bizien, du Huelgoat, lui-même inscrit sur les listes de Bricler. Il fut relâché le 29 juillet 1943. À une période où des tensions très fortes se produisaient autour du curé de Scrignac, Jean-Marie Perrot, suspecté d’entretenir des liens étroits avec le mouvement breton d’une part et l’Occupant d’autre part, l’arrestation de Duperrier fut comprise comme venant directement de l’abbé. Durant l’année 1943 et début 1944, Duperrier vint en aide à des réfractaires du Service du travail obligatoire (S.T.O), offrant faux papiers et hébergement temporaire.

Après le 4 septembre 1943, date de l’exécution à Quimper de Bricler par des membres de la Résistance, plusieurs militants nationalistes furent abattus. Le 12 décembre 1943, l’abbé Perrot fut assassiné alors qu’il revenait à pied d’une cérémonie religieuse. Le choc fut énorme dans le mouvement breton, dont la partie la plus collaborationniste avait déjà formé sous la direction de Célestin lainé, un service spécial, censé protéger les militants des actes terroristes. Il se nommera après l’assassinat de l’abbé ; le Bezen Perrot, opérant sous l’uniforme allemand. Le 26 novembre 1943, une première tentative d’assassiner l’abbé Perrot avait eut lieu. Les nationalistes bretons firent leur enquête et soupçonnèrent le chef de gare et F.T.P, Albert Stéphan, deux autres militants et une personne identifiée comme pouvant être Duperrier. On passait alors à une autre échelle : les rumeurs allaient devenir certitudes et Duperrier un homme à abattre.

Au printemps 1944, le commandement allemand décida de créer des commandos de chasse, rattachés aux divisions contrôlant les territoires. À partir de mai 1944, le commando de chasse (I.C) de la 343e division d’infanterie, installé à Landerneau, dit Kommando de Landerneau allait pouvoir intervenir sur le centre Finistère. Il était aidé par plusieurs nationalistes bretons, non intégrés à la formation Perrot, dont André Geoffroy, Hervé Botros et les frères Caouissin.

Persuadés de rechercher les exécutants de l’assassinat de l’abbé Perrot, ils orientèrent une partie de la lutte contre la résistance dans cette recherche, sans succès véritable. Entre mai et juillet 1944 plusieurs expéditions furent menées dans la région de Scrignac. En juillet, le chef F.T.P, Albert Stéphan, échappa à la capture, provoquant la fureur des miliciens qui s’acharnèrent à casser la gare de Scrignac et qui restèrent plusieurs jours dans la commune. À chaque fois des suspects furent arrêtés. Albert Duperrier fut l’une des cibles des premières actions. Le Kommando de Landerneau remonta la piste des résistants supposés avoir tué l’abbé Perrot. L’auteur Yves Mervin soutient la thèse selon laquelle Yves Simon, jeune résistant arrêté à Carhaix et fusillé à Rennes le 8 juin, lâcha sous la torture le nom de Duperrier, dans un ouvrage à la décharge de Perrot, intitulé Viens rejoindre notre armée (2016). Eugène Kerbaul évoque une collaboratrice horizontale, selon ses propres termes (p. 81).

Albert Duperrier fut arrêté le 12 juin 1944 [3]. Conduit le 14 juin à la prison de Pontaniou à Brest, il y fut incarcéré pendant près de deux mois. Un résistant, Guy Péron, trace un portrait précis de Duperrier, apprécié par les autres détenus [4]. Duperrier fut témoin du départ des Saint-Politains du réseau Centurie le 6 juillet 1944. Il semblait alors convaincu qu’ils avaient été déportés alors qu’ils furent fusillés le jour même au fort du Bouguen.

Il était lui-même chargé de tâches de distribution de la nourriture et du jus et pouvait circuler entre les cellules. Guy Péron met en valeur dans son livre l’empathie du personnage, qui essayait de remonter le moral des détenus. Le 18 juillet 1944, rapporte Péron, Duperrier estima que la prison était pleine et qu’un convoi allait venir. Le 20 juillet eut lieu le dernier départ de la prison, les co-détenus de Derrien, Guy Péron et Victor Derrien, étaient du voyage. Péron remit sa chevalière à Duperrier, à charge pour lui de la remettre à sa famille. c’est le dernier témoignage connu sur Duperrier. Le 7 août au petit matin, il fut exécuté. Il fait partie des disparus de Pontaniou.

À titre posthume, il reçoit la médaille de la Résistance [5]. Son nom est gravé sur le monument aux morts de la mairie du 7ème arrondissement à Paris.

Nous cherchons à mettre un visage sur son histoire, si vous avez une photo de lui, n’hésitez pas à nous contacter.

Publiée le , par Jean-Yves GUENGANT , mise à jour

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Sources - Liens

  • Service historique de la Défense de Vincennes, dossier d’homologation des faits de résistance (GR 16 P 201 044).
  • Ordre de la Libération, registre des médaillés de la Résistance française (J.O du 14/08/1965).
  • Archives départementales d’’Ille-et-Vilaine, dossier Yves Bizien, (215 W 173).
  • Archives départementales du Finistère, dossier Francis Gourvil (204 J 195).
  • Service historique de la Défense, dossier d’attribution de la mention Mort pour la France de Roger Bothuan (AC 21 P 428652).
  • GUIDET Thierry, Qui a tué Yann-Vari Perrot ?, éditions Beltan, 1986.
  • HAMON Christian, Les nationalistes bretons, éditions An Here, 2001, réédition par Yoran Embanner, 2004.
  • CARNEY Sébastien, Breiz Atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré : une mystique nationale (1901-1948), éditions des Presses universitaires de Bretagne, 2015.
  • MERVIN Yves, Viens rejoindre notre armée ! 1944, une résistance bretonne à contretemps, Lorient, édition à compte d’auteur, 2016.
  • Service historique de la Défense de Caen, dossier individuel d’Albert Duperrier (AC 21 P 446 134) - Non consulté à ce jour.

Remerciements à l’Ordre de la Libération, commission nationale de la médaille de la Résistance, pour l’aide à la rédaction de cette notice. Remerciements à Françoise Omnes pour la relecture de cette notice.

Notes

[1Faits rapportés par Christian Hamon dans Le Bezen Perrot : 1944 des nationalistes bretons sous l’uniforme allemand, Yoran Embanner, 2004, p. 42.

[2Deux soldats allemands avaient été tués. Des otages furent pris et conduits à Morlaix.

[3Guy Péron, Un cross sous la mitraille, de Pontaniou aux marais de Redon, en passant par Auray, 143 pages – 18 cm – Brest, imprimerie PAM, 1963 (édition consultée) ‎1e édition : Riou-Reuzé Inconnu 1946 In-12 (12,2 x 18,6 cm), broché, 140 pages.

[4Un cross sous la mitraille, PAM, p. 44 et suivantes)

[5Il est considéré comme résistant "isolé" dans la base des médaillés de la Résistance.