La famille d’Adrienne est originaire de Plougasnou où son grand-père, Jean-François, après avoir appris de sa mère le métier de boulanger, s’y installe et épouse Reine Tallegas, boulangère dans la commune. La famille Le Guen est connue à Plougasnou ; son oncle Théodore (1877-1967) est maire de 1929 à 1944. Son père, Auguste travaille aux services des Douanes à Morlaix et sa mère est la directrice de l’école publique de Troudousten (Ploujean). La famille est catholique. Mais alors qu’Adrienne est institutrice à Tréflez, un incident est provoqué par le prêtre de la paroisse. Il s’oppose violemment à elle, n’acceptant le fait qu’elle puisse être à la fois institutrice publique et pratiquante. Cet épisode la marque profondément et il lui faudra l’amitié du recteur de Carantec après la guerre pour effacer cette blessure.
Entrée à 17 ans à l’école normale d’institutrices de Quimper, elle épouse Roger Bothuan le 6 août 1934, un instituteur lui-même issu d’une famille d’instituteurs publics. Lorsque la guerre éclate, Adrienne et Roger sont ensemble à l’école publique du Tréas, à Kerlouan, Finistère. Le couple est de tendance socialiste, fortement antihitlérien et profondément pacifiste, comme en témoigne l’échange de courrier de septembre 1939 à juin 1940, Roger s’efforçant d’écrire le plus souvent possible.
La critique de la passivité des démocraties vis-à-vis des dictatures d’Europe centrale est faite et le combat pour la paix passe désormais par l’écrasement du nazisme. Dans l’une de ses lettres à Adrienne, Roger cite le conservateur anglais Anthony Eden [1], devenu ministre de la guerre voulant l’écrasement du nazisme, tout en restant en accord avec ses idées pacifistes. Si Adrienne n’adhère à aucun mouvement politique, elle est en accord avec l’engagement de son mari.
Courriers de Roger à Adrienne, campagne de France, 26 août 1939-10 juillet 1940.
La séparation est dure et sera peut-être longue, mais il vaut mieux cela que de vivre constamment dans une atmosphère d’angoisse. La question du fascisme doit être réglée une fois pour toutes, afin que par la suite on puisse vivre en vraie paix. Je ne sais pas si cette guerre a ouvert les yeux de ceux de chez nous, s’ils se rendent compte des belles bourdes qu’ils font à longueur d’année.
à N. Le 23 septembre 1939.Inutile de te tracasser au sujet des conditions de paix. Il est une chose à laquelle j’ai mûrement réfléchi. Si notre existence devient pénible, je n’hésiterai pas un instant : le large ; nous trouverons bien, sous d’autres latitudes, une zone plus clémente, peu importe où, pourvu que nous soyons réunis tous les quatre.
Aux armées, 19 juin 1940.
Les sentiments gaullistes du couple se renforcent au fil du temps et Adrienne soutient naturellement l’engagement de Roger dans la Résistance en 1942, au sein du réseau Alliance puis du mouvement Défense de la France. La présence du couple Michali, réfugié dans leur villa près du Tréas, au sein de la Résistance depuis les premiers jours, puis l’arrivée en mars 1944 de Guy Estévenon, instituteur à Guissény, dans le réseau de Roger sont importantes : les deux couples amis, qui les fréquentent beaucoup renforcent la volonté commune de résistance. Dans un premier temps, le couple Bothuan participe aux efforts menés dans le Pays des Abers pour rapatrier les pilotes alliés tombés en France. A plusieurs reprises, Adrienne ravitaille des pilotes cachés au château de Kerouartz, (7 novembre – 1er décembre 1943) après l’échec de leur évasion par les iles de Tariec et Guennioc, en Landéda - l’opération Envious, novembre 1943 - par le MGB (Motor Gun Boat) du lieutenant David Birkin. Fin décembre, environ 35 aviateurs ont pu quitter la France par cette filière, abandonnée ensuite car jugée trop difficile.
Adrienne participe à ce qui fait la vie quotidienne des résistants, de la diffusion de journaux au transport d’armes à compter du mois de juin 1944. Ainsi transporte-t-elle sous le matelas du landau de son fils Yvon, né en octobre 1943, des revolvers et munitions et héberge-elle chez elle un résistant traqué par la Gestapo.
Le 9 juillet 1944, Roger est arrêté chez lui, lors d’une rafle provoquée par une dénonciation. Adrienne essaie par tous les moyens, y compris en soudoyant un soldat, de le faire sortir de la prison militaire de Pontaniou (Brest). Elle constate, lors de visites à son mari à la prison de Pontaniou qu’il a été torturé. Le 7 août Roger est exécuté avec d’autres camarades de Résistance de Guissény-Kerlouan.
La Libération et la fin de la guerre sont mal vécues par Adrienne : son mari a été dénoncé par une personne de Guissény. Ce sera l’une des raisons qui l’amèneront à quitter Kerlouan. On attribue également à son époux le statut de Non Rentré, c’est-à-dire qu’on ne lui reconnait pas officiellement le statut de fusillé (En octobre 1945, il est noté sur son dossier de résistant : Présumé fusillé). Elle doit se battre contre le ministère des anciens combattants et victimes de guerre et faire la preuve que Roger a été arrêté et fusillé à la prison de Pontaniou. Soutenue par les associations patriotiques du Finistère et d’ailleurs membre de l’association des déportés de Morlaix, elle obtient le 2 mars 1949 la reconnaissance de l’acte de décès. La mention Mort pour la France qui devait découler logiquement de la reconnaissance n’aboutit pas et l’affaire doit être portée devant le ministre en novembre 1950. En février 1951 la mention est enfin accordée. Le 6 juin 1952 se termine le douloureux parcours judiciaire avec l’attribution du titre d’interné-résistant. Elle ne demande rien pour elle-même et ne fait donc aucune démarche de reconnaissance du titre de résistante, bien qu’elle ait dépassé le simple soutien moral et affectif.
Adrienne quitte Kerlouan à la rentrée scolaire 1944 pour Carantec puis pour l’école du Poan Ben, au centre-ville de Morlaix, et ce jusqu’à sa retraite milieu des années 1960. Elle continue à Carantec à se préoccuper du sort des déportés, délivrant des repas aux rescapés des camps. Elle va tous les ans aux réunions de l’association des déportés. Son amitié avec l’acteur Jacques Debary (connu pour son rôle du commissaire Cabrol des Cinq Dernières minutes, série télévisée célèbre de l’époque) lui apporte la satisfaction de partager son histoire et de contribuer à la réalisation d’un scénario de Janine Peyre pour un film de télévision sur la Seconde Guerre mondiale, par son témoignage. Veuve à trente ans, elle ne se remarie pas et élève seule ses trois enfants. Elle transmet aussi son histoire à ses petits-enfants. Elle décède à Morlaix le 24 décembre 2006.