Jade

[1943 - 1944]

Jade est un réseau créé par l’Intelligence Service britannique à la fin 1940, et qui devient opérationnel quand son premier responsable, le Parisien Claude Lamirault parti à Londres en octobre, est parachuté en France, dans la nuit du 11 au 12 janvier 1941.

De mois en mois, Lamirault augmente ses effectifs. Il le fait en subissant de sérieuses infortunes, surtout à la fin avril 1942 avec l’arrestation de son radio Eugène Pérot, et de son jeune beau-frère Bernard Rousselot qui servait d’agent de liaison. Dans son équipe se distingue surtout Pierre Hentic, qui était son camarade au régiment des Chasseurs Alpins d’Annecy. Il le charge d’abord de collecter des renseignements dans la région parisienne et en Normandie, puis en fait le chef des liaisons aériennes, c’est-à-dire des transports clandestins qui, les nuits de pleine lune sur des avions Lysander ou Hudson, servent à transporter outre-Manche des rapports d’observation ainsi que des personnalités désireuses de se mettre au service des Forces alliées. Il doit chercher des espaces d’atterrissage éloignés des points de contrôle allemands et veiller à la sécurité des transits.

Pendant ce temps, une seconde équipe se manifeste. Philippe Keun, petit-fils par sa mère de l’écrivain Georges Feydeau, est également enrôlé par l’Intelligence Service et la branche opérationnelle d’une autre organisation britannique, le Service Operation Executive.
Chargé de mission dans la zone non occupée, il en vient à y rencontrer Claude Arnould, industriel de la région lilloise, mobilisé en 1939 puis employé au début de 1941 par le 2 ème Bureau de Vichy pour surveiller les dispositifs allemands sur la façade atlantique et notamment à Bordeaux. Les deux hommes sont complémentaires, Keun prend le pseudonyme d’Amiral, Arnould celui de Colonel. En novembre 1942, après le franchissement de la ligne de démarcation par la Wehrmacht, les autorités de Londres proposent leur rapprochement avec Lamirault. Leurs moyens respectifs sont mis en commun.

Toutefois, des incompatibilités de caractère, peut-être aussi des conceptions divergentes du travail, provoquent une rupture. Au printemps 1943, le dispositif éclate. Lamirault conserve son autorité sur sa branche dite Fitzroy, lui-même portant le pseudonyme de Roy. Keun et Arnould conservent la leur sur Amicol, contraction d’Amiral et Colonel. Pour sa part, Pierre Hentic reste au service des deux, ce qui se traduit par une indépendance de fonctionnement. N’ayant d’ordre à recevoir de personne, hormis de la centrale anglaise, il a le pouvoir d’apprécier ou non l’opportunité de satisfaire un besoin explicite de Lamirault, de Keun, ou d’Arnould. Ce partage des responsabilités n’empêche pas que la notion de réseau continue de se justifier, car Keun et Arnould conservent de nombreux contacts avec les hommes de Fitzroy, mais l’exploitation et le codage des renseignements proprement dits sont réalisés autour des deux pôles séparés.

C’est dans ce contexte qu’un important groupe du réseau est basé à Brest pour collecter le maximum d’informations possibles sur les activités portuaires et l’organisation des défenses côtières. Pierre Jeanson en est le principal agent. De même, Pierre Hentic se voit confier la délicate tâche de consolider une filière maritime qui permettrait d’évacuer de nombreux aviateurs abattus par la défense antiaérienne allemande. Après plusieurs échecs, plus d’une vingtaine d’entre eux sont récupérés par une vedette de la Royal Navy le jour de Noël 1943. Pour constituer sur place un groupe de résistants motivés, Hentic bénéficie de l’apport d’agents auparavant intégrés à Bordeaux-Loupiac mais en situation de retrait depuis l’arrestation à Rennes du chef région Jean-Claude Camors, le 11 octobre.

Jade connaît à son tour des arrestations en chaîne, surtout la branche Fitzroy, provoquées entre autres par la trahison d’un ancien radio et par des maladresses. Lamirault et Hentic sont capturés, à trois semaines d’intervalle, le 15 décembre et le 6 janvier 1944. Certains agents qui servaient sous leurs ordres passent dans Amicol. Le 29 juin 1944, Philippe Keun tombe à son tour, dénoncé par un mercenaire de la Gestapo récemment infiltré dans son groupe. Ayant échappé quant à lui à une souricière, Claude Arnould maintient son commandement sur les rescapés jusqu’à la libération du territoire.

Après-guerre, plusieurs confusions empêcheront de bien discerner les modalités de coopération entre Fitzroy et Amicol et quelques protagonistes auront quelques peines à dire à quelle branche ils appartenaient. La plupart ne connaissaient d’ailleurs pas ces indicatifs, ni même celui de Jade qui était employé indifféremment par l’IS et par le contre-espionnage allemand de l’Abwehr. Plus de 2000 agents seront recensés dans l’ensemble du réseau. Les dossiers conservés au Service Historique de la Défense, à Vincennes, ne permettent que l’identification certaine d’environ 300.

Présentation rédigée par André Kervella, le 7 février 2020.