PETILLON Pierre

Pierre Pétillon reste dans son village natal jusqu’à neuf ans. Ses études commencent au collège de Merdrignac, se poursuivent dans une institution religieuse de La Trinité-Porhoët, puis au lycée de Saint-Brieuc, enfin à l’école militaire de La Flèche. Devenu bachelier, il se présente à l’école militaire de Saumur. Ambition : faire carrière dans la cavalerie. Admis sans difficulté, quoique pas dans la position espérée, il fait des apprentissages laborieux. Sa première affectation le voit en Syrie, dans une compagnie d’auto-mitrailleurs. Une maladie le surprend, ce qui le contraint à un séjour à l’hôpital. En 1937, sa hiérarchie le mute à Paris. Il y reste jusqu’à la déclaration de guerre, en septembre 39, où il passe en Lorraine.

La rapidité de l’offensive ennemie le déstabilise, comme tout le monde. Il se replie sur Chartres, Angoulême, Poitiers. À Poitiers, il croit un moment que les Allemands vont concentrer les militaires d’active pour les rendre à leur foyer après des formalités de contrôle, et il se rend à l’école d’artillerie où on l’appelle ; mais il ne tarde pas à s’apercevoir qu’un départ outre-Rhin risque d’être décidé. Il s’évade donc. À Rennes, l’accueil de son père est plutôt frais : un coup de pied au derrière. « Il disait : en 14 on s’est bagarré, tu vas aller retourner te bagarrer ». L’unique solution qui se présente est celle de passer en Angleterre. Direction la ligne de démarcation. À Vierzon habite un camarade qui pourra l’aider. Une fois le Cher franchi, il gagne Lyon avec l’intention de descendre sur Marseille et de prendre le premier bateau qui serait ami. Un impondérable le dévie vers les Pyrénées. De là, il pousse vers Gibraltar, en sorte qu’il se retrouve à Londres, conformément aux vœux paternels.

Recruté par le (futur) B.C.R.A, il fait équipe avec Jacques Mansion pour lui servir d’opérateur radio, à la place de Roger Le Fèvre qui préfère servir le M.I.6. Ils sont parachutés le 1er octobre sur Dinéault. Bien plus tard, les souvenirs des deux hommes divergeront très sensiblement.

Pour Mansion qui est persuadé de se retrouver seul à l’atterrissage, le poste connaît de sérieux dommages lors de l’impact au sol. Son souci est cependant de le cacher dans une haie, afin de venir le chercher le lendemain ou quelques jours après, le temps d’aller chez sa femme à Huelgoat et de revenir avec une moto. Des paysans qui habitent à proximité l’aident dans cette besogne. Aux aurores, une voiture à gazogène le transporte jusqu’à Châteaulin où, au terme d’une longue patience, il trouve le car qui dessert Huelgoat. Or, lorsqu’il revient, muni d’un Ausweiss obtenu naguère par Aldéric Lecomte, à peine a-t-il arrimé son fardeau sur sa monture et fait quelques kilomètres, qu’il aperçoit à l’entrée du viaduc de Châteaulin des feldgendarmes en side-car. Plutôt que de subir une fouille qui lui serait fatale, il se précipite dans un fossé, bascule, en profite pour glisser le poste sous des broussailles, se relever avec un air contrit et se laisser approcher par les feldgendarmes qui ne songent pas à mal, sinon à verbaliser le motocycliste cabriolant pour défaut de conformité de son phare. Toujours est-il que l’émetteur est cette fois définitivement hors d’usage, si bien que la suite de la mission ne peut prendre la tournure prévue au départ.

Pour Pétillon, le poste ne connaît pas cette infortune, il demeure bel et bien intact. De même, il estime que Mansion et lui restent la nuit ensemble, qu’ils font à la levée du jour tous deux un passage éclair chez le docteur Vourc’h et que leur séparation n’a lieu qu’ensuite. Au moins se souvient-il qu’il prend seul la route d’Angers où demeurent les parents de Mansion, lequel l’y rejoint trois jours plus tard. De là, ils passent à Rennes, cette fois chez un ami de la famille Pétillon. Mansion en profite pour renouer avec le professeur Milon, lequel lui donne les nouvelles coordonnées de Jean Le Roux, du réseau Johnny, qui a quitté Quimper. Hôtel d’Arvor. Des retrouvailles discrètes ont lieu. Mansion explique qu’il ne dispose plus d’aucun moyen de transmission et invite tout bonnement Le Roux va se charger désormais d’employer Pétillon dans son propre réseau qui ne va pas tarder à changer encore de base et opérer de Paris-même. D’accord. Pétillon acquiesce à son tour.

Tandis que Pétillon, qui a pris chambre dans un hôtel parisien du boulevard Blanqui, attend d’entrer en action sur un nouvel émetteur, Mansion fait cavalier seul en Bretagne. Dewavrin commet un raccourci à son sujet. « Il erra pendant quelques semaines et finit par rentrer en Angleterre par ses propres moyens ». Le quotidien est plus réconfortant et les durées plus longues. Tout simplement, Mansion séjourne dans son home du Huelgoat. Par intermittence, il vient prendre la température de Brest où un ingénieur du génie maritime lui confie quelques nouvelles. Sans grandes préoccupations, hormis celle de patienter. Et la patience se prolonge bien au-delà de ce que l’expression ‘quelques semaines’ signifie. En effet, suite à un désordre survenu parmi les siens, et dont Jean Le Roux a le désagrément de faire les frais, Pétillon abandonne en hâte la capitale. Nous sommes en matinée du 5 mars 1942. Il croit que la Gestapo ou l’Abwehr disposent d’indications qui rendent imminentes des arrestations nombreuses. « Mansion ?... Je suis allé au Huelgoat le chercher. Il était en sabots, il revenait de la pêche. Je lui dis : Il faut qu’on rentre en Angleterre, on nous appelle ».

Aucune hésitation, Mansion le croit sur paroles. Les deux clandestins prennent le train pour Angers où un ami vétérinaire leur propose de se réfugier dans un premier temps chez un curé du Grand-Pressigny. Celui-ci leur montre une filière pour passer en zone non occupée, si bien qu’ils arrivent à Banyuls en toute sécurité. C’est alors qu’un commissaire de police, zélé pétainiste que Mansion a connu à Reims avant-guerre, provoque leur arrestation, menottes aux poignets et tout le décorum qui va avec ; mais un autre commissaire, un divisionnaire de Perpignan, y met le holà. Ils en sont quittes pour quelques sueurs froides. Prochaine étape, Figueras, de l’autre côté de la frontière.

Pétillon a déjà accompli le trajet en 40, il n’avait pas rencontré d’obstacles majeurs. Depuis, la situation a changé. Les gendarmes de Franco ont l’œil. Ces Français leur paraissent louches. Bien sûr, une interpellation s’ensuit. Elle a l’avantage d’être moins théâtrale que celle subie à Banyuls, mais son issue s’avère plus qu’incertaine. Le camp de Miranda les attend. Mansion proteste avec l’énergie d’un homme qui sait combien les Britanniques ont conservé une influence sur le gouvernement espagnol. Bien lui en prend. Les pressions diplomatiques sont suffisantes pour obtenir leur libération. Lorsqu’ils sont conduits à Gibraltar, il leur reste à attendre le prochain convoi allié. Sains et saufs, ils arrivent à Londres le 22 juillet. Là, leurs trajectoires se séparent.

Toujours avec la responsabilité d’opérateur radio, Pétillon est derechef parachuté en Bretagne le 15 novembre 1942. Il réalise plusieurs vacations dans la région de Rennes où il dispose de plusieurs informateurs. Une dénonciation aboutit à sa capture le 13 avril suivant. La suite est controversée. D’après certains documents, il réussirait à s’évader le 15 et à gagner la Suisse pour s’y cacher jusqu’à la fin de la guerre. D’après d’autres, contraint et forcé sous la torture, il accepterait de coopérer avec l’Abwehr pour intoxiquer le B.C.R.A par la transmission de faux messages. Les archives judiciaires permettent de trancher ce point. Le 10 mars 1948, il est condamné par la Cour de Justice de la Seine à 6 années de travaux forcés et à la dégradation nationale pour avoir « dénoncé plusieurs membres du réseau dont il faisait partie ». Parmi les victimes, sont les parents de Mansion, comptés dans le réseau Mithridate. La mère ne reviendra pas de Ravensbrück ; le père verra la libération de Buchenwald, il reviendra s’installer à Angers où il mourra peu d’années après d’une hémorragie cérébrale.

Publiée le , par André KERVELLA, mise à jour

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Sources - Liens

  • Entretien Pierre Pétillon, Jean Le Roux, 28 janvier 1973.
  • Entretien entre Jacques Mansion, Jean Le Roux, Daniel Lomenech, 8 octobre 1986
  • Entretien avec Marthe Mansion, 28 juillet 1998. Marthe Mansion est la seconde épouse de René Mansion, père de Jacques.
  • SHD, GR 28 P 4118/1. Dossier individuel de Pierre Pétillon.
  • SHD, GR 28 P 3157. Réseau Ker : rapport et télégrammes de Pierre Pétillon alias Ker, rapport sur l’activité résistante de la famille Pétillon (1968), liste des agents du réseau Ker déportés en France.