TRÉVIEN Gérard

Enfant de François Trévien, cocher, et d’Anne-Marie Legrand, sans profession, mariés en 1913. La guerre a bouleversé la vie du couple, François mobilisé comme canonnier conducteur, sort de la guerre avec une pleurésie qui va progressivement l’handicaper. Démobilisé en mars 1919, son état général est mauvais, il fatigue et se déplace difficilement. Gérard nait en février 1920.

En 1930, François Trévien est réformé définitivement à 100% et reçoit une pension d’invalidité. Gérard sera marqué par cette situation et est sensible aux théories pacifistes. Le couple s’installe à Saint-Marc, une commune ouvrière de la banlieue brestoise en 1933. Gérard doit travailler très tôt : apprenti à 14 ans, en 1936, il est inscrit comme ouvrier tôlier à l’arsenal de Brest (charpentier-tôlier) sur le registre de recensement de la population.

En août 1935, lors des violentes grèves qui secouent l’arsenal et la ville contre les décrets-lois Laval, Gérard Trévien fait l’expérience de la lutte syndicale en participant aux piquets de grève et aux manifestations. La violence de la répression provoque deux morts parmi les ouvriers. Le 8 août, l’ouvrier Joseph Baraer est enterré : des milliers de personnes assistent à la cérémonie. Gérard est inscrit au mouvement de scoutisme laïque, Les Éclaireurs de France, depuis 1932 et y rencontre André Calves, André Darley et Lucien Mérour (21 juillet 1920 – 18 août 1939). La découverte de la nature et de la randonnée s’accompagne de la découverte de la littérature socialiste et communiste.

Un an plus tard, les grèves de juin 1936 le marquent durablement : il décide d’entrer en 1937 à la Jeunesse Socialiste brestoise, dirigée alors par le jeune professeur d’histoire Charles Foulon. Il découvre également le mouvement des auberges de jeunesse qui deviendra plus tard l’une des bases du mouvement trotskiste. La situation générale a beaucoup changé, premiers coups de force du nazisme, guerre d’Espagne. Les jeunes gens, au contact des militants communistes et anarchistes vont évoluer rapidement. Le père de Lucien est anarchiste, proche de Jules Le Gall, le leader anarchiste, dont le groupe soutient directement les anarchistes catalans. Entrepreneur de travaux publics, Il a même accueilli dans son atelier Nestor Makhno, pendant l’été 1927. L’oncle d’André Calves travaille à France-Navigation, une compagnie dirigée par Émile Causeur et contrôlée par le Kominterm qui ravitaille les communistes espagnols ! Les jeunes sont donc au contact même des hommes qui combattent. En Espagne les trotskistes espagnols du P.O.U.M sont la cible des milices communistes.

En 1938, après deux années de combats internes, la gauche révolutionnaire de Marceau Pivert, rompt avec la SFIO et crée le Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP – 8 juin 1938). Gérard Trévien rejoint alors les Jeunesses du mouvement, les JSOP. Une partie des Ajistes brestois rejoint le mouvement, jugé révolutionnaire. L’importance du Centre laïque des auberges de jeunesse est à souligner : le mouvement ajiste soude le groupe brestois, qui participe à l’animation du réseau et soutient activement les réfugiés républicains. Parallèlement, il continue de participer aux Éclaireurs de France, dans la branche réservée aux membres âgés de plus de 17 ans, les routiers. A l’été 1939, il campe avec Lucien Mérour à la baie des Trépassés (Plogoff), près de la pointe du Raz, une plage réputée dangereuse pour ses rouleaux et ses courants. Lucien se noie le 18 août, et Gérard a failli lui aussi mourir en lui portant secours. André Calves rapporte que M. Mérour, « en souvenir de Lucien, nous offre une machine à écrire pour taper nos stencils ».

À la déclaration de guerre la JSOP brestoise publie un tract contre la guerre impérialiste et Gérard Trévien le distribue nuitamment dans les boites aux lettres. Mais le mouvement se dissout rapidement et les jeunes sont mobilisés. Gérard Trévien est mobilisé dans la Marine, et en août 1940 se trouve en Afrique du Nord. Il est rapatrié dans le sud de la France et libéré des obligations militaires au printemps 1941. Au retour en Bretagne, il participe à la création de Bretagne rouge en juillet, journal d’un éphémère parti communiste révolutionnaire. Il retrouve du travail à l’arsenal comme électricien. Le groupe se rallie au Parti ouvrier internationaliste en 1942.

Le 1er août 1942, Gérard épouse Micheline Guérin, 22 ans, fille d’un ouvrier à l’arsenal de Brest. Le couple habite la maison familiale du Guelmeur. André et Gérard Calves sont les témoins.

André Calves, revenu de Paris, s’est fait embaucher comme manœuvre sur un chantier des Laminoirs et Tréfileries de Paris, au port de commerce. La LTP fournit notamment des travailleurs à l’organisation TODT pour des chantiers. Rapidement, il devient pointeur (ou pointeau) – personne qui contrôle l’embauche des ouvriers sur des chantiers – et peut ainsi faciliter l’embauche de militants. (souvenirs d’André Calves, octobre 1953). Il effectue des allers-retours sur Paris, assurant la liaison entre la direction du POI et les militants brestois. Eliane Ronël, à Quimper, sous couvert de ses activités professionnelles – une boutique de modiste, rue du Chapeau-Rouge – peut se rendre régulièrement à Paris, d’où elle ramène journaux et tracts, ventilés ensuite entre Quimper et Brest.

L’idée du front Ouvrier est développée dans la région brestoise en juillet 1943, Gérard Trévien participe à la rédaction du journal. Le journal La Vérité, dans un article consacré au Front Ouvrier, cite d’ailleurs dans un encart l’exemple de Brest, (en dehors de toute prudence vis-à-vis de la police allemande). (La Vérité, 20 juillet 1943, page 2).

Les 6 et 7 octobre 1943 a lieu la rafle menée contre le groupe brestois, qui a développé une action de propagande vers les soldats allemands. Gérard Trévien est arrêté et emprisonné à Rennes. Il est transféré à Compiègne, au camp de Royallieu, où sont concentrés les résistants déportés vers l’Allemagne en trois convois (Opération Meerschaum – Écume de mer). Son convoi quitte Compiègne le 22 janvier 1944, avec Yves Bodénez, André Darley, André Floc’h et les deux frères Berthomé. Deux jours plus tard, il est immatriculé sous le numéro 42418. En février, il est transféré au camp de Dora. Il y retrouve Yves Bodénez et André Floc’h. Yves décède le 23 mars 1944.

Il décrit dans un courrier adressé à André Calves après sa libération ses conditions de vie à Dora :
« Quand à Buchenwald on vous parlait de Dora, c’était le camp « d’où on ne revient pas » et le premier transport, nous y étions. À quoi bon s’en faire, dis-je, on ne meurt qu’une fois, répéta Yves. Pauvre vieux, un mois après il n’était plus [23 mars 1944] Maintenant quand je chante « Les survivants », Je pense à lui, et ai un frère à venger.

Début avril 1945 commence l’évacuation du camp par trains et marches de la mort. À la mi-avril, après 200 km de marche dans le massif du Harz, il est libéré par l’armée américaine. Gérard Trévien sort très marqué par Dora, et s’il affirme rester internationaliste, il garde un souvenir très négatif des politiques allemands, et des Polonais qui « se sont montré plus bas qu’un homme puisse descendre, et cela dans tous les camps. Quant aux Russes, je me demande s’ils savent ce que communiste veut dire, mais ceci est une autre histoire ».

Gérard Trévien indique avoir tué un kapo au moment de sa libération

Sur le travail dans les Kommandos, par des droits communs allemands ou alors par des Polonais, des Tchèques. Ces brutes profitaient de toutes les occasions pour nous frapper ou nous voler. Ce qui me console, c’est que j’ai tué l’un d’entre eux avec l’aide d’un copain. J’ai écrasé sa tête comme on écrase un crapaud. Il en avait fait mourir, je suis heureux de les avoir vengés.

Le Parti Ouvrier Internationaliste n’a pas tiré pas de leçon de la chute du réseau brestois. La Vérité du 15 octobre 1943 évoque la rafle sans remettre en cause le « travail allemand » :

« Nous savons qu’en tendant la main à l’ouvrier allemand sous l’uniforme, nous frappons l’hitlérisme avec plus d’efficacité que ne saurait le faire des assassins terroristes. Que la Gestapo s’en aperçoive – un peu tard – n’est pour nous qu’une raison de persévérer ». La Vérité, 15 octobre 1943, n°53, pages 4 & 5).

Début 1944, dans un bulletin intérieur, sous le titre « IV. Mobiliser nos forces », les régions nantaise et bretonne (les deux sont différenciées) sont citées en exemple pour leur réussite de propagande fondée sur le Front Ouvrier : les journaux bretons sont des armes sérieuses pour le parti, mais ce combat n’aurait pas permis de se raccrocher à d’autres groupes, syndicaux notamment ! Perfection du moyen de propagande mais faiblesse du combat !

« Là où nos camarades n’ont pas derrière eux les syndicats, nos groupes de F.O. sont éphémères – à la merci du moindre accident policier comme c’est le cas en Bretagne ».

Même aveuglement dans le « travail allemand » : le mot-d ’ordre est « Reprendre et redoubler nos efforts dans le travail allemand » tout en reconnaissant le caractère très dangereux de cette action, le parti s’obstine à penser que la propagande peut toucher « des dizaines de soldats gagnés à la IVe Internationale », et s’avérer décisive. A son retour, Gérard Trévien évoque les tensions nées de ces analyses différentes. Le Parti va donc proposer de prendre « toutes les précautions pour limiter les dangers » ! Sans doute Marcel Baufrère, envoyé spécial du parti, envoyé à Brest en septembre 1943 et arrêté en octobre, avait pressenti le danger. C’est du moins ce que suppose la lecture du bulletin :

« La dure expérience de la répression récente (qui a frappé plusieurs dizaines de membres du Pari, de sympathisants ou d’anciens militants) nous rappelle qu’une telle action n’est pas compatible avec le laisser-aller d’organisation ».

De retour à Brest en 1945, Gérard Trévien a repris son travail mais dit-il, « Ici ça n’a pas l’air d’aller sur des roulettes, et les tuiles se succèdent. On espère remonter sous peu ». Il milite au sein du Parti communiste internationaliste (PCI), qui dispose de 12 à 20 militants sur Brest en 1946.

Aux élections législatives constituantes de juin 1946, il est candidat sur la liste présentée par le PCI dans le Finistère. Gérard Trévien est cinquième sur la liste : il est signalé « déporté politique à Dora » sur le bulletin de vote, Alain Le Dem, membre du comité central du PCI (pseudonyme Renan) et personnage pivot du mouvement en Bretagne, est tête de liste.
La liste obtient 4151 voix (1,07 %). Cette élection à la proportionnelle permet de conforter le Parti communiste (24,43 % des voix et deux députés/neuf). Cependant le PCF sent le danger et va mener un dénigrement systématique des trotskistes.

Le 10 novembre 1946, a lieu l’élection à la nouvelle assemblée créée par la constitution de la IVe république. Gérard Trévien se présente à nouveau : la profession de foi l’indique comme « rédacteur du front ouvrier. Arrêté par la Gestapo en octobre 1943. Torturé à Rennes. Interné à Compiègne. Déporté à Buchenwald et Dora ». La liste a une forte représentation de militants déportés et de résistants FTP, pour faire taire les calomnies colportées par les candidats communistes. Ils doivent répondre à une violente campagne qui s’en prend particulièrement à Anne-Marie Fauglas, une institutrice communiste et résistante, qui en 1944 a rejoint le PCI. Gérard Trévien doit sans cesse contrer les intervenants communistes qui les traitent d’hitlériens.

André Calvez témoignera : « De Concarneau à Brest, des coups, des crachats. Ce fut assez pénible. Parfois une variante. Au Pont-de-Buis, le P.C.F avait distribué des sifflets à roulette »

Le PCI a appelé les militants ouvriers à faire barrage à Alain Signor, au nom des « procédés indignes du mouvement ouvrier » qu’il utilise. Mais ceci sans aucun succès. Le PCI recule à cette élection (3937 voix dans le Finistère) quand le PCF voit son score culminer à 27,84 % (105 882 voix) et obtient son troisième député, Alain Signor. Ce dernier est un proche de Jacques Duclos, et stalinien convaincu collabore aux cahiers du communisme. Sur Brest, le PCI réunit 522 suffrages (1,67% des votants). Il perd le procès en diffamation intenté par Anne-Marie Fauglas, et est condamné à 8000 F. d’amende.

Les militants trotskistes ont été isolés fin 1946 dans le Finistère, mais continuent leur combat sur l’agglomération brestoise principalement. En 1947, Gérard Trévien est rédacteur et trésorier du bulletin « Le Militant », diffusé par abonnement à 200 exemplaires (journal ronéoté) : il s’intitule bulletin mensuel de la région bretonne du PCI. Un numéro spécial imprimé, en octobre-novembre 1947 - n°13 - rend hommage à ses camarades assassinés, Robert Cruau, Yves Bodénez et Georges Berthomé, « qui n’avaient qu’une haine… Le capitalisme. Et qui ont été tués parce qu’ils luttaient pour les opprimés du monde entier ». Il y signe également un article consacré aux grèves à l’arsenal de Brest, appelant à l’union et à la grève générale « pour ne pas se laisser entraîner sur des voies de garage par des dirigeants qui se souciaient plus de briser les grèves que de préparer les victoires ouvrières ».
Deux numéros imprimés seront diffusés fin 1948, début 1949, auxquels collabore Gérard Trévien et son frère Robert (né le 18 janvier 1922), (Bob ou Boby) militant à Quimper et responsable des JCI du département.

Les trotskistes réussissent à regrouper des jeunes du Mouvement Laïque des Auberges de Jeunesse et former une Jeunesse communiste internationaliste (JCI). Ils participent aux grèves qui secouent l’année 1947 et soutiennent, par devoir internationaliste, les prisonniers allemands qui ont choisi le statut de « travailleur libre » et dont plusieurs d’entre eux se syndiqueront à la CGT locale. (Le Militant, n°10, juillet 1947 –« Discussion avec un PGA »). Par contre, faute d’avoir pu réunir une liste parmi les ouvriers brestois, le rayon brestois du PCI ne soutient aucune liste.

Il décède le 8 octobre 1971, à son domicile rue Frégate-l’Incomprise, dans le quartier de Saint-Pierre, Brest (Finistère).

Publiée le , par Jean-Yves GUENGANT , mise à jour

Télécharger au format PDF

Portfolio

Gérard Trévien en 1962
Gérard Trévien en 1941

Documents joints

Sources - Liens

  • Famille Trévien, iconographie
  • Roger FALIGOT, Service B, le réseau d’espionnage le plus secret de la Seconde Guerre mondiale, Fayard, 1985
  • André FICHAUT, Sur le pont, souvenirs d’un ouvrier trotskiste breton, éditions Syllepse, 2003
  • Roger FALIGOT, Brest l’insoumise, Dialogues, 2016
  • HIRSCH Robert, PRENEAU François et LE DEM Henri, Résistance antinazie, ouvrière et internationale, éditions Syllepse, 2023.
  • Jean-Yves GUENGANT, Nous ferons la grève générale, éditions Goater, Rennes, 2019
  • Association RADAR – Rassembler, diffuser les archives de révolutionnaires, dont archives du parti ouvrier internationaliste (1942-1944) et du parti communiste internationaliste, (1944 – 1968)
  • Archives de Brest métropole : état civil, registres des naissances et des mariages, liste de recensement de la commune de Saint-Marc, 1933-1939. Gérard Trévien NMD : registres 1 E 261-063, 2 E 130-120, 19 E 27-054
  • Archives départementales du Finistère, registres matricules et fichier départemental des prisonniers politiques et déportés (1397 W 2).
  • Profession de foi du parti communiste internationalise aux élections pour l’assemblée constituante, juin 1946
  • Journal Le Militant, bulletin mensuel du PCI, région Bretagne, 1947à 1950 (Ronéoté ou imprimé). Archives municipales de Brest, PR286
  • Assemblée nationale, biographie d’Alain Signor