Joseph Marie Fichou est le huitième enfant d’une mère au foyer et d’un ouvrier agricole. En 1901, la famille quitte Saint-Cadou pour s’établir à Landerneau. Joseph Fichou est alors scolarisé à l’école Saint-Joseph où il y apprend le français. Après avoir passé avec succès son Certificat d’études primaires, il débute un apprentissage de mécanique agricole au garage Le Hir de Landerneau.
Durant la Première Guerre mondiale, il est appelé en 1915 à servir au sein du 137ème Régiment d’infanterie. Il fête ses 20 ans dans les tranchées de Verdun. En 1917, Joseph Fichou prend part à l’offensive du Chemin des Dames avec le 93ème Régiment d’infanterie. À la fin de l’année 1917, il est légèrement blessé, ce qui lui vaut une mutation au 2ème Groupe d’aviation, où il reste jusqu’à la fin du conflit. Pour sa tenue au combat, il est cité à l’ordre de l’Armée, lui conférant la Croix de Guerre 1914-1918, avec palme et avec la citation suivante :
Ordre de l’Armée n°483 du 10 juin 1917 :
" Grenadier d’élite, le 5 mai 1917 a entraîné par son élan ses camarades à l’attaque d’un centre de résistance ; ce qui permit à sa seule section de capturer 80 prisonniers, huit minnenwerfers (ndr Obusiers de tranchée) et deux mitrailleuses. Le 8, partant volontairement au devant d’une contre-attaque en a arrêté les éléments de tête faisant avec un camarade 9 prisonniers et tuant 4 hommes, a suscité par son extraordinaire bravoure l’admiration d’un vice-feldwebel (ndr adjudant dans l’armée allemande) qu’il venait de faire prisonnier. "
Le landernéen est démobilisé en septembre 1919, avec le grade de caporal de réserve. Au sortir de la guerre, il monte à Paris dans les années 1920 et y travaille comme magasinier chez Binet [1]. En 1922, pour se constituer un pécule, il part en Algérie et travaille comme chef mécanicien dans une importante société du Sud-Oranais qui exploite l’alfa (fibre végétale). Lors d’un retour en métropole, il épouse Germaine Mourguet (1904-1944), le 27 novembre 1923. De cette union naîtront André (1924-2008) en Algérie, Claudine (1926-2007) à Landerneau, Jean en 1929, Joseph en 1931 et Marie-France en 1941, à Brest.
Rentré définitivement en métropole, Joseph Fichou ouvre en septembre 1926, au 10 rue du Château à Brest, le Comptoir breton de la pièce détachée. Il travaille en famille avec sa femme et son beau-frère. L’activité automobile se développant, le commerce déménage en 1934 dans le quartier de Saint-Martin pour des locaux beaucoup plus grands, au 58 rue Yves Collet. La famille réside à l’étage mais avec l’adresse du 60 bis rue Yves Collet. À la veille de la guerre, l’entreprise compte sept salariés dont un représentant qui parcourt le département. Il y aura même un temps une succursale quimpéroise.
Trop âgé pour être mobilisé à la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, Joseph Fichou reste à la tête de son commerce et sympathise avec quelques officiers des troupes anglaises du British Expeditionary Force basés à Brest. Lors de la débâcle, quelques avions allemands sillonnent le ciel brestois, Joseph Fichou monte alors sur son toit avec son fusil pour tenter de les toucher, en vain et au grand désespoir de son épouse.
À l’approche des Allemands, il fait mettre sa famille à la campagne à Sizun pour les protéger. Dès le 21 juin 1940, l’armée d’occupation envoie deux officiers du Train (logistique et transport militaire) se présenter au magasin Fichou pour ouvrir un compte. Beaucoup de véhicules ayant été abandonnés durant la débâcle, ils cherchent à les réparer et ont donc besoin de fournitures et pièces. Les deux Allemands ayant participé à la Première Guerre mondiale, une estime mutuelle se noue assez naturellement. Joseph Fichou leur indique qu’ils sont l’ennemi et qu’il n’est donc pas question de leur fournir quoi que ce soit. Compréhensif, les deux officiers rétorquent que leur chef ne pourra pas admettre ce point de vue.
Joseph Fichou biaise alors et prétexte qu’il n’a pas les marchandises. Il fait dissimuler son stock à Landerneau chez de la famille ou chez des amis, à qui il va louer une cave à l’année. Les pénuries s’instaurant rapidement sur le territoire national, l’excuse tient quelque temps. La clientèle étant en chute libre, les temps sont durs et le personnel est réduit. Tout comme le chiffre d’affaire et les revenus. Le 14 juillet 1940, Joseph Fichou achète un drapeau au Bazar populaire, commerce voisin, et l’arbore au balcon de sa terrasse. Il n’est pas le seul à faire ce geste patriotique de résistance passive. Le 11 novembre 1940, malgré l’interdiction, avec une foule silencieuse la famille se rend au monument aux morts et y dépose quelques fleurs sous le regard des soldats allemands qui n’interviennent pas.
En janvier 1941, un sous-officier du garage de la Wehrmacht vient chercher des segments au magasin Fichou. Encore une fois, le patron indique ne pas en avoir en stock. L’Allemand se rend alors auprès de Guériff & Moreau (Réaléseurs et rectifieurs) au port de commerce et formule la même requête. Il s’entend alors dire que chez Fichou il doit y en avoir, et pour s’en assurer, Mr Guériff prend le téléphone et contacte son ami de longue date Joseph Fichou. L’Allemand se saisit de l’écouteur et entend : Si c’est pour toi, il y en a, si c’est pour eux, y’en a pas.
Le 18 janvier 1941, le magasin Fichou est perquisitionné à 5 heures du matin par 17 feldgendarmes et des enquêteurs. La famille est gardée toute la matinée dans la cuisine tandis que Joseph Fichou accompagne les Allemands dans leurs fouilles. Sont trouvés sur place des effets personnels d’un officier britannique confiés à la débâcle et un tract en provenance de l’arsenal. Est également saisie, la correspondance avec Marcel Hennequin, directeur de la société Hadfields où Joseph Fichou refuse catégoriquement de collaborer et blâme l’attitude anti patriotique de son fournisseur de peinture qui incité à commerce avec l’Occupant.
Cela suffit à Joseph Fichou d’être emmené et écroué le jour même à la prison de Pontaniou, dans l’attente de son jugement. En février 1941, il passe devant un tribunal militaire qui le condamne à 4 mois de prison pour manifestations anti-allemandes. Durant son internement, il est transféré à Saint-Brieuc, par deux gendarmes français qui l’escortent dans le train. Eux aussi ont fait la Première Guerre mondiale, alors en guise de sympathie avec le prisonnier, ils s’arrêtent dans un café prendre un verre avant de le livrer à la prison Saint-Charles. Le brestois y reste jusqu’en mai avant d’être libéré.
Du fait des bombardements sur la ville, toute la famille se réfugie à Landerneau. Joseph Fichou reste seul à Brest et les rejoint les dimanches. Au magasin, il n’y a plus d’activité et de surcroît, il craint la destruction de sa maison. Soucieux du durcissement de l’Occupant à l’égard de la population, il s’en ouvre au docteur Daniel Phélippes de la Marnierre. Ce dernier lui aurait alors proposé de l’aider à passer en Angleterre, ce que refuse Joseph Fichou, de crainte de représailles sur sa famille.
Le 3 mars 1943, deux agents de la sureté allemande se présentent à son domicile à 18 heures et l’embarquent. Il ne peut qu’emporter une musette contenant quelques vivres et son nécessaire de toilette ainsi qu’une couverture. Il retrouve la prison de Pontaniou, en compagnie d’une dizaine d’autres raflés le même jour. Eux aussi ont déjà eu maille à partir avec l’Occupant. La plupart d’entre eux sont des jeunes gens d’une vingtaine d’années.
Les visites et les correspondances sont interdites mais grâce à Geneviève Poitou-Duplessy, visiteuse officielle de la Croix Rouge pour les prisons, Joseph Fichou peut écrire quelques lignes à sa famille et recevoir des colis de linges, nourritures et journaux.
Le 23 avril 1943, Joseph Fichou quitte Brest avec un groupe de 20 ou 30 prisonniers. Ils sont dirigés sur la gare et embarquent dans un wagon voyageur à destination de Paris Montparnasse. Lors de la halte du train à Landerneau, sa famille est présente pour le voir, une dernière fois [2].
De Paris, le brestois et ses compagnons d’infortune sont dirigés sur Compiègne où ils sont internés au camp de Royal-Lieu. Le 8 mai 1943, avec 883 autres détenus, Joseph Fichou est déporté en Allemagne. Il arrive au camp de Sachsenhausen deux jours plus tard. Il devient alors le matricule 66087. La famille reçoit quelques lettres mais une seule rédigée de sa main en français. Cette correspondance s’arrête en juillet 1944. La famille a pu, entre août 1943 et juin 1944, lui adresser 41 colis mais la plupart du temps, ceux-ci furent gardés par les SS du camp.
À partir de l’été 1944, la famille du déporté Joseph Fichou n’aura plus de nouvelles. Il faudra attendre les premiers retours en mai 1945, puis les suivants, pour se rendre à l’évidence que son retour devenait incertain au fil des semaines et mois qui passaient. Son épouse tente alors d’obtenir des informations auprès de rapatriés, mais elles s’avèrent souvent contradictoires. Avec les quelques faisceaux d’informations se recoupant, la famille pense malgré tout qu’il est toujours en vie. L’espoir durera plusieurs années, jusque à la fin des années 1950.
Cependant, Joseph Fichou fait partie des transférés au mouroir de Bergen-Belsen en 1945. Sa date de décès du 31 mars 1945, entérinée sur son acte d’état civil, est approximative.
À titre posthume, Joseph Fichou est décoré de la Croix de Guerre 1939-1945 et de la médaille de la Résistance française en 1960.